DVD Virgin Classics 2 DVD 928991 9. Distr. Warner Music.
On peut trouver la méthode Sivadier répétitive, spectacle dans le spectacle, toujours en préparation, en vertige, en vérité actuelle, dont l'illustration la plus fêtée reste sa Traviata aixoise qui, contrairement à bien des réalisations enregistrées, garde son intensité à chaque renouvellement de la vision en DVD. Et il y a incontestablement réussite tout aussi marquante dans ce Couronnement. Par la beauté visuelle de ce qu'offre l'écran, par le fait de quelques toiles peintes de fond prenant admirablement vie par leurs jeux de couleurs et leurs moires, sous une lumière toujours palpitante, comme par l'habile présence d'un rideau « Opéra Garnier » qui renvoie au luxe et à la tradition de l'opéra, lorsque le reste de la décoration (panneaux blancs suspendus et boîtes) est, de fait, d'une pauvreté sans appel mais sans gêne aucune. Dans cet univers historiquement indéfini, l'action s'installe comme la vie même, pas compassée pour un sou, grouillante, au contraire, et d'une jeunesse mordante, comme la majorité des protagonistes qui investissent alors un théâtre d'opéra au naturel confondant. Même si les artifices de ce théâtre sont aussi lisibles que d'autres, il est si unitaire, si cohérent, si vécu - et si proche de ce qu'on imagine être la liberté du théâtre de l'Italie découvrant ce monde-là - qu'on se laisse vite ravir, et qu'on y trouve à chaque retour un vrai plaisir de l'instant. Quelques maniérismes, répétitions ou parfois même lourdeurs d‘effets n'y feront rien : cela marche, cela vit, à la lumière d'un érotisme incontournable et parfaitement justifié et d'un dramatisme parfaitement construit. On aura donc ici l'une des versions à chérir d'un catalogue vidéo fort désormais d'une dizaine d'options très diverses, celle-ci y ajoutant ce qui n'est pas une redite visuelle par rapport aux références Ponnelle / Harnoncourt, Audi / Rousset et Tandberg / De Marchi.
On serait déjà content avec l'image, dont il faut aussi rendre la responsabilité à Philippe Béziat qui a su donner sans doute plus de dynamique encore au spectacle en jouant d'un montage aussi vif que théâtral. Or l'interprétation vocale y surajoute sa part de vérité, d'autant qu'elle est parfaitement utilisée par le metteur en scène, ce qui explique encore la vivacité de ce théâtre animé de l'intérieur et non posé comme un costume sur un acteur. Réussites incontestables que celles du couple impérial, avec le Néron de Max-Emanuel Cencic fascinant tant par sa folie visible que par sa vocalité exacerbée jusqu'à sa propre mise en danger, et dont l'art vocal sait admirablement se lier avec chacun de ses partenaires - ce qui vaudra un duo avec le Lucain ébouriffant de Mathias Vidal -, et avec la Poppée de Sonia Yoncheva dont le chant, entre ductilité et charme, est la sensualité même. L'Ottavia d'Ann Hallenberg est aussi majeure, actrice impérieuse et défaite, voix distillant tous les registres de la tragédie, de la défaite à la haine, avec une évidente facilité. Tim Mead est un Ottone parfait, entre incertitude, déchirement et veulerie, et la Drusilla d'Amel Brahim-Djelloul est délicieuse certes, mais aussi violente et passionnée. Couple toujours drolatique, celui des Nourrices fonctionne ici à merveille, entre Rachid Ben Abdeslam et Emiliano Gonzalez Toro, aussi contrastés de physique que de timbre, et usant à merveille de leur notion différente de la vis comica nécessaire. Réussites encore que le couple si actuel de Valletto et Damigella (Khatouna Gadelia et Camille Poul), et dimension parfaitement tragique et noble du Seneca de Paul Whelan. Et seconds rôles tout aussi présents.
Les instruments du Concert d'Astrée sont un plaisir permanent. Et si l'on confesse ne pas toujours apprécier - chez Haendel surtout - la battue d'Emmanuelle Haïm, on lui trouve ici une adéquation, un esprit, une tenue, une cohérence avec la scène, qui sont une vraie réussite, comme l'ensemble du spectacle.
P.F.