DVD et BR Dynamic 57816. Distribution Outhere.
Birgit Nilsson, Eva Marton, Nina Stemme : les sopranos dramatiques aiment à s’approprier les aigus dardés de Minnie et à manier la carabine, disputant leur suprématie toute ultramontaine à Gigliola Frazzoni, Magda Olivero ou Renata Tebaldi. Emily Magee s’est, elle aussi, amourachée de la pionnière au grand cœur, sans avoir le format de ses devancières – mais certainement des expériences approchantes dans le répertoire germanique, version allégée : une Comtesse Madeleine, une Marschallin, une Ariadne chez Strauss, une Eva chez Wagner ne sont ni Elektra ni Brünnhilde. Ce petit préambule dit assez le charme conquérant que dispense la belle Américaine, hier Salomé enjôleuse et vipérine, chez elle dans les duos passionnés avec son Mexicain de bandit ou dans son office de maîtresse d’école des mineurs, mais moins affirmée lorsque les aigus impérieux doivent sonner (elle fut pourtant une Kaiserin) ou lorsque le drame doit saisir sa voix et s’y faire entendre. Pourtant il semble qu’elle envisage bientôt Isolde… Mais le personnage est là, incarné avec une fraîcheur redoutable, et vous retrempera dans une atmosphère à la Raoul Walsh qu’assume la mise en scène volontairement réaliste d’Hugo de Ana.
Cet âpre théâtre renvoie au temps héroïque où Hollywood considérait le western comme un exotisme suprême tout en y serrant des drames dignes de Tennessee Williams. Heureusement, dans La fanciulla del West tout se termine bien, au point que, parvenu à la fin de la représentation, je me demande un instant pourquoi tout y était si sombre, jusqu’à aller contre la musique spectaculaire de Puccini. Si le hiatus était si intense, il m’aurait effleuré illico ; le fait qu’il paraisse seulement à la coda indique le geste finalement distancié d’une mise en scène plus habile qu’il n’y paraît de prime abord.
Face à cette Minnie subtilement campée, Claudio Sgura mesure son Jack Rance, soignant le style, gourmant son beau baryton, peignant un monstre qui rappelle Scarpia d’autant plus que la composition en est tenue. Physique de beau gosse, voix en or, Roberto Aronica se révèle un Dick Johnson de haute volée, élégant dans ses séductions, émouvant dans l’adversité. Autour de ce trio quasi parfait le San Carlo a assemblé une équipe inspirée où les caractères saillent, élément essentiel d’une partition chorale que magnifie la direction coloriste et nerveuse de Juraj Valcuha : l’orchestre inventif et somptueux de La Fille de l’Ouest n’avait pas résonné ainsi depuis la gravure mémorable de Lovro von Matacic.
J.-C.H.