DVD et BR Cmajor 746208. Format 4:3. Distr. DistrArt Musique.
« Je hais Wagner, mais je le hais à genoux », déclarait Leonard Bernstein à propos d’un compositeur dont, à 62 ans, il n’avait pas encore dirigé un opéra intégral. Pourtant, Tristan le démangeait. Finalement, il se décida en 1981 pour une formule intermédiaire : trois concerts, un par acte, à Munich, avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, débouchant sur une parution discographique. Le tout sur une période assez étendue : acte I le 13 janvier, acte II le 27 avril, acte III le 10 novembre. Le disque parut en 1982, la même année que la version mythique de Carlos Kleiber, ce qui contribua sans doute à l’éclipser. Mais il s’agissait surtout d’une interprétation totalement atypique, ne serait-ce que par sa durée : avec 266 minutes, c’est la plus longue de la discographie, dix minutes de plus que Furtwängler, vingt de plus que Karajan, une demi-heure de plus que Kleiber, Barenboim et Thielemann, quarante-sept minutes de plus de Karl Böhm. Ce dernier, pourtant, dont on ignore trop qu’il était lié à Bernstein par une grande amitié et une admiration mutuelle (l’eau et le feu ?), a approuvé les tempi de Lenny. C’est que l’excentrique Américain s’était mis en tête de respecter à la lettre toutes les indications de Wagner. Entre cette vision désarçonnante et une distribution pas toujours à la hauteur, la version Bernstein a toujours eu une place à part dans les discographies.
Ce que l’on ne savait pas, c’est que les concerts avaient été filmés ! On était donc plus que curieux de VOIR le résultat et de mesurer l’éventuelle plus-value émotionnelle que pourrait donner la captation télévisée, malgré le format 4:3. Tout d’abord, on remarquera que, à dix mois d’intervalle, l’orchestre s’est efforcé de réunir la même équipe pour assurer la continuité de l’interprétation : émotion, donc, de retrouver les premiers violons Ernö Sebestyen et Erich Keller, les premiers violoncelles Walter Nothas et Reinhold Buhl, fidèles soutiens que Lenny ne manque pas d’associer avec effusion au triomphe. On voudrait en revanche mettre en prison le réalisateur pour avoir réussi à ne jamais montrer la perle de l’orchestre, Marie-Lise Schüppbach, à qui l’on doit un des plus beaux solos de cor anglais de l’histoire.
Pour apprécier le document, il faudra passer sur certaines scories d’époque. Tout d’abord, la mode n’était pas encore aux versions de concert mises en espace : on chante ici face au chef, statique, comme pour un enregistrement de studio. Ensuite… la déco ! Pour évoquer un tant soit peu les atmosphères de l’opéra, on a tendu une toile peinte furieusement années soixante-dix, tandis que les tenues vestimentaires font pouffer, avec ces chemises en soie ouvertes jusqu’au nombril, ces pantalons patte d’eph et boots, ces robes-sac en toile baba-cool : on est entre Mike Brandt et les raëliens. Ce n’est pas très charitable de nous donner un tel coup de vieux en nous montrant combien cette époque que nous avons vécue est aujourd’hui datée…
La musique ? A voir le prélude et ses quatorze minutes (record absolu, sauf erreur), on comprend ce qui ne marche pas : Bernstein surligne du geste et du regard le moindre effet, la moindre articulation, le moindre contraste dynamique, avec un côté excessif et presque didactique qui nous paraît artificiel. Une fois passé cette impression désagréable, on le voit de plus en plus impliqué, jusqu’à un troisième acte où il a apprivoisé le monstre et s’investit de manière plus libre : il est alors littéralement habité. Malheureusement, la vision n’apporte pas de gain déterminant à la distribution. Le beau Peter Hofmann, médaille ronde sur la poitrine, est assez convaincant dans les deux premiers actes, mais le troisième met encore plus en lumière ses limites dans ce rôle qui le dépasse : alors qu’il chantait jusque-là par cœur, le voilà rivé à sa partition, transpirant plus que de raison, se tripotant le nez, s’humectant la bouche et mettant la main à la tempe pour contrôler l’intonation. Hildegard Behrens, elle, y gagne : si son Isolde n’a pas la voix du siècle, au moins l’artiste est-elle fervente et engagée, jusqu’à une mort réellement transfigurée. La caméra confirme l’ardeur de la Brangäne d’Yvonne Minton, la solidité du Kurwenal de Bernd Weikl et la neutralité du Marke de Hans Sotin. Vous l’aurez compris : on aurait aimé être dans la Herkulessaal de la Résidence de Munich en 1981, mais on n’est pas sûr d’avoir souvent envie de revisionner ces trois DVD, si ce n’est pour leur intérêt documentaire.
C.M.