DVD Dux 8387. Notice et synopsis trilingues (angl., russe, polonais). Distr. DistrArt Musique.
Opéra aujourd’hui connu, La Passagère attendit longtemps : achevé en 1968, il fut créé à Moscou… dix-huit ans plus tard, en version de concert. Sa carrière démarra avec la production de David Pountney à Bregenz, en 2010 – le DVD existe. Une révélation : Mieczyslaw Weinberg avait réussi à mettre l’horreur en musique, sans chercher l’effet, donnant ainsi à sa partition une terrible puissance, avec un lyrisme poignant lorsque l’espoir, malgré tout, jette sur la nuit un rayon de lumière – fallacieux.
Liza est sur le bateau qui emmène au Brésil son mari, jeune diplomate allemand des années 1960, parti prendre son poste. Mais la traversée tourne au cauchemar : elle croit reconnaître parmi les passagers une ancienne détenue, résistante polonaise, du camp d’Auschwitz où elle était surveillante SS et entretenait avec sa victime, sous les apparences d’une protection perverse, une relation au sadisme manipulateur. Marta, elle, refusa de se prêter au jeu, comme son fiancé Tadeusz, violoniste assassiné pour avoir joué la Chaconne de Bach au lieu de la valse du commandant. Et Marta finit au bloc de la mort. Mais les souvenirs remontent, contraignant la jeune femme à tout avouer à un mari très lâche, alors qu’elle essaie en vain de se donner bonne conscience… elle obéissait aux ordres, n’est-ce pas ? On ne saura pas si la Passagère est la vraie Marta.
L’histoire vient d’un livre de Zofia Posmysz, elle-même rescapée d’Auschwitz, adapté pour la scène par Alexander Medvedev. On comprend qu’elle ait intéressé Weinberg : toute sa famille avait été exterminée et il fut souvent victime de l’antisémitisme de la tyrannie soviétique malgré la protection de son maître Chostakovitch – que La Passagère enthousiasma. De Chostakovitch, justement, il n’est pas un épigone, même si l’on sent une parenté d’esprit : son langage possède une singularité qui se révèle dans l’opéra. Un genre pour lequel il était fait : deux heures quarante de musique, pas un instant d’ennui ou de relâchement.
A Ekaterinbourg, où fut massacrée la famille de Nicolas II, Thaddeus Strassberger signe une très belle et très émouvante production qui, comme l’œuvre, tire sa force de sa sobriété et d’une direction d’acteurs au plus près des personnages – monstrueuse bonne conscience des SS, enfer des détenus, dont l’aliénation vire parfois à la folie. On passe du pont, des cabines et du dancing du bateau aux baraques du camp, où le ciel se noircit de la fumée des crématoires. S’ils n’ont pas forcément les plus belles voix du monde – s’agit-il d’ailleurs de cela, ici ? –, les interprètes sont remarquables, en particulier les deux femmes : impressionnante Liza de Nadezhda Babintseva, grand mezzo dramatique, Marta irradiante de Natalia Karlova. Mais comment oublier la fraîcheur de Natalia Mokeeva, la petite Française ? Sous la direction impeccable d’Oliver don Dohnánhyi, alors nouveau maître des lieux, la troupe d’Ekaterinbourg hisse très haut cette Passagère, chantée ici dans l’original russe – sauf quand tel ou tel personnage parle sa langue natale. A la fin, Zofia Posmysz vient saluer aussi.
D.V.M.