Corinne Winters (Fiordiligi), Angela Brower (Dorabella), Daniel Behle (Ferrando), Alessio Arduini (Guglielmo), Johannes Martin Kränzle (Don Alfonso), Sabina Puértolas (Despina), Chœur et Orchestre du Royal Opera House Covent Garden, dir. Semyon Bychkov. Mise en scène : Jan Philipp Gloger (Londres, 17 octobre 2016).
DVD Opus Arte OA 1260 D. Distr. DistrArt Musique.

Peut-être influencé par la mise en scène que Patrice Chéreau avait réalisée à Aix-en-Provence en 2005, Jan Philipp Gloger situe l’action de Così fan tutte dans un théâtre et joue à fond la carte de la mise en abyme. Dès l’ouverture, Don Alfonso – seul personnage à être vêtu à la mode du XVIIIe siècle du début à la fin de la pièce – mène le jeu en faisant saluer devant le rideau des figurants que l’on croit être les personnages de la pièce. Erreur : les vrais protagonistes sont dans la salle comme nous le prouve la première scène. Par la suite, on passe du hall de l’Opéra à un bar, des loges à une scène factice et même des combles aux cintres. S’enchaînent ainsi de trop nombreux décors dont la justification nous échappe le plus souvent et qui viennent parasiter l’intrigue de Mozart et Da Ponte. Certaines idées amusent, comme le serpent enroulé autour de l’arbre planté au milieu d’un petit paradis terrestre à la fin du premier acte et qui semble annoncer la « chute » prochaine des couples d’amoureux prêts à succomber à l’attrait du fruit défendu. Très réussie nous semble aussi la sérénade (« Secondate, aurette amiche ») qui prend place dans un délicieux décor de toiles baroques. Sinon, Gloger surcharge la scène d’intentions lourdes et bien peu en harmonie avec l’extrême subtilité de cette éducation sentimentale où il vaut mieux suggérer le trouble amoureux que le souligner à gros traits.

Beaucoup plus à son affaire, Semyon Bychkov propose une interprétation vigoureuse et tonifiante de la partition. Quelques lourdeurs çà et là, de même qu’un tempo désespérément lent dans « Per pietà », s’avèrent ici péchés véniels. On pourra se montrer plus dubitatif devant les ornementations qu’il autorise dans « Come scoglio » à Corinne Winters, Fiordiligi au timbre assez sombre, aux aigus de soprano dramatique mais au grave inconsistant. La sémillante Dorabella d’Angela Brower est plus constante dans la qualité de son chant et joue avec un parfait naturel, ce que l’on ne peut pas dire de la Despina outrancière de Sabina Puértolas, aux allures de vamp, au timbre éraillé et complètement égarée sur le plan stylistique. Don Alfonso honorable, Johannes Martin Kränzle manque de relief et déséquilibre malheureusement le début du trio « Soave sia il vento ». Comédien très convaincant, le baryton Alessio Arduini est un Guglielmo plus séduisant par son allure de beau ténébreux que par sa voix un peu trémulante et à la palette de couleurs limitée. En revanche, on ne tarira pas d’éloges pour Daniel Behle, Ferrando exceptionnel à tous égards et qui offre une magistrale leçon de chant tout au long de la soirée. Stupéfiant de tendresse raffinée dans « Un’aura amorosa », il est véhément à souhait dans « Tradito, schernito » et ferait céder n’importe quelle âme endurcie dans un « Volgi a me pietoso il ciglio » de rêve. On l’aura compris, c’est d’abord pour ce grand interprète mozartien que l’on recommandera cette version d’un intérêt relatif.

L.B.