Simone Alberghini (Don Giovanni), Jan Stava (le Commandeur), Adrian Sampetrean (Leporello), Irina Lungu (Donna Anna), Katerina Knezikova (Donna Elvira), Julia Novikova (Zerlina), Dmitry Korchak (Don Ottavio), Jiri Bruckler (Masetto), Chœur et Orchestre du Théâtre National, dir. Plácido Domingo, mise en scène : Jiri Nekvasil (Prague, Théâtre des Etats, 27/29 oct. 2017).
DVD Cmajor 745208. Notice et argument trilingues dont français. Distr. DistrArt Musique.

En visite à Prague en 2012, Plácido Domingo commença à caresser ce rêve absolu : diriger Don Giovanni là-même où Mozart l’avait, pour la première fois, fait entendre le 29 octobre 1787. Cinq ans plus tard, c’était chose faite, pour des représentations fêtant au jour près les 230 ans de l’ouvrage. L’anniversaire, les lieux et l’initiateur du projet auraient suffi à faire événement ; c’était sans compter le revival d’une production historique : celle de Vaclav Kaslik, créée en 1969 sur la même scène et dans les décors de Josef Svoboda. Triomphale, elle était restée au répertoire du Théâtre jusqu’en 1983 puis avait disparu… jusqu’en 2002, date d’une première reprise. La voilà fixée à l’écran, cette fois réglée par Jiri Nekvasil.

Le fameux dispositif de Svoboda transforme la scène en « miroir » de la salle, avec ses loges et dorures. Non que cela fasse concept ou relecture, ni même principe radical – la réalisation reste souple et, surtout, adaptée au lieu : les décors construits voisinent avec les toiles peintes, l’on chante parfois à l’avant-scène, rideau baissé, et la scénographie se veut avant tout historiciste. Tout comme les superbes costumes de Theodor Pistek (jusque dans la judicieuse référence à l’opera seria baroque pour les costumes du trio des Masques), caution oscarisée et clin d’œil cinéphilique puisqu’il fut couronné pour son travail dans Amadeus… où l’on se souvient que Milos Forman filma des scènes de Don Giovanni précisément dans le Théâtre des Nations. Le tout pâtit hélas de lumières sans charme, aux variations erratiques et brutales, qui font « sonner » cette esthétique bien artificiellement et sans patine, dans cet écrin pourtant raffiné.

Dans le cast, quatre lauréats du concours Operalia, ce qui fait certes un ensemble valeureux mais sans pour autant hausser le plateau à un niveau anthologique : Simone Alberghini est un Don Giovanni de belle allure mais au timbre manquant de mordant, d’autorité et même parfois de stabilité ; la soprano Irina Lungu (Donna Anna) n’est pas ici à son meilleur, vibrato large et intonation parfois basse, malgré un tempérament intense ; on a aussi connu Dmitry Korchak (Don Ottavio) plus à l’aise qu’ici, où le travail surveillé supplante la grâce de son chant, néanmoins stylé comme à son habitude ; quant à Julia Novikova, elle affiche un timbre assez plein voire mûr, qui tranche avec les soubrettes légères que l’on a tendance à distribuer en Zerlina. Jiri Bruckler (Masetto) se situe un cran au-dessous, tout comme Jan Stava (le Commandeur) ; de meilleur rang l’Elvira de Katerina Knezikova, très à son affaire dans la fébrilité pêchue du personnage alliée à la netteté du trait mozartien. Au-dessus d’eux tous plane Adrian Sampetrean, Leporello très juste de jeu comme de voix bien qu’il doive lutter avec les tempi du maestro Domingo (la lenteur du « Notte e giorno fatticar » !) ou l’enthousiasme hâtif du public (qui applaudit en plein cœur du Catalogue). Bien que l’orchestre maison ne démérite en rien, la direction musicale se cherche plus qu’elle ne convainc, parfois attentiste, parfois précipitée (le duo Anna-Ottavio), et n’évitant pas maints périls de mise en place.

En rien une version indispensable, mais le témoignage d’une production cherchant à ranimer le souvenir d’une soirée historique : l’effet en salle devait être autrement touchant.

C.C.