Lawrence Brownlee (Ernesto) et Michele Pertusi (Don Pasquale).

Evénement : 175 ans après sa création parisienne (le 3 janvier 1843, au Théâtre-Italien), Don Pasquale fait son entrée au répertoire de l’Opéra !

Moyennant quelques réserves légères, la distribution réunie (l’on guettera la reprise prévue l’an prochain avec Pretty Yende, Mariusz Kwiecien et Javier Camarena autour du même Michele Pertusi) est à la hauteur de l’enjeu. Et la production, qui prend le parti du doux-amer plutôt que du buffa le plus délirant (ce qui est, après tout, assez fidèle à l’esprit de cette œuvre de maturité), séduit par sa cohérence scénographique et son tempo, malgré quelque tendance à la surcharge.

En fosse, Evelino Pidò privilégie l’allant (on a rarement entendu « Bella siccome un angelo » aussi rapide) et choisit de faire sonner un orchestre donizettien musclé et tonique, riche de couleurs et d’effets : superbes solos de violoncelle et de trompette, cors joliment mis en avant, contrastes et silences accusés pour les moments d’émotion suspendue. Certains clins d’œil prévus par le compositeur sont observés (le tragique forcé du « Fra poco qui verrà » de Malatesta, très drôle), d’autres sont hélas oubliés (la parodie de Lucia lors de l’irruption d’Ernesto en plein mariage) ou à peine effleurés (le pathos excessif du même dans son « Amo Norina ! », trop hâtivement déployé), et le dialogue avec les chanteurs en paraît parfois corseté. Peu sollicité dans cet ouvrage, le Chœur de l’Opéra tisse de belles interventions, desservies néanmoins par le décor ouvert qui empêche une projection optimale des nuances fines.

Même satisfaction ombrée de frustration face aux protagonistes. Michele Pertusi est un Pasquale complet aussi bien vocalement que théâtralement, mais force parfois son dynamisme aux dépens de la variété des intentions. On supposait que Florian Sempey serait un Malatesta mordant et généreux (malgré un petit déficit dans les graves), on le découvre en outre meilleur dans le fiorito et le sillabando que ce que son Figaro montrait jusque-là : son duo avec Pasquale est d'un rossinien. En Ernesto, Lawrence Brownlee affiche un chant stylé mais un peu monochrome et où la congestion du souffle est trop audible. Quant à Nadine Sierra, malgré le sympathique et très sexy cabotinage de la soprano qui se donne à fond dans son personnage ici frivole, l’enthousiasme de l’auditeur amoureux de Donizetti sera plus partagé : certes le chant est aisé et l’aigu brillant, mais le médium s’étroitise, les colorations et la rondeur manquent (au point parfois que la voix nasale de « Sofronia » paraît déteindre sur celle de Norina) et, surtout, l’idiomatisme n’est pas au rendez-vous – ses portamenti gouailleurs ne sont pas du plus bel effet.

La direction d’acteurs de Damiano Michieletto a le sens du rythme comique ; elle est parfaitement réglée sur la musique, et certains effets scénographiques font mouche. La scène tournante, loin de l’indigestion de mouvement qu’elle provoquait dans Le Barbier de Séville à Bastille, sert ici une maison de Don Pasquale allégée, devenue espace poétique (le principe est celui de Dogville : pas de cloisons, juste les portes et le mobilier) ; la vidéo en incrustation (Rocafilm) est judicieusement utilisée, soulignant l’imaginaire des personnages et leur art de la mise en scène. Très drôle est le relooking du domicile pasqualien, comme arrêté dans les années cinquante (voiture comprise), par une Norina plutôt portée sur design épuré et les berlines premium, tout comme le chœur des Domestiques transformés en voisins curieux, ou les trois marionnettes rejouant la scène de la gifle. Pertinente la présence, dès le début, d’une vieille domestique – aigrie envers Pasquale, maternelle envers Ernesto puis complice de Norina (la comédienne, excellente, est étrangement absente de la distribution listée dans le programme). Or ce n’est pas le buffa que Damiano Michieletto privilégie en Don Pasquale, ce qui nous vaut un finale résolument cruel ; foin de happy end et de réconciliation : non seulement on expédie Pasquale à l’Ehpad, mais Norina finit dans les bras de Malatesta. Cependant, plus que cette cruauté, c’est une tendance au théâtre de (mauvais) boulevard qui gêne ici ou là. Michieletto aurait pu proposer une Norina plus subtile que cette pimbêche aguicheuse droit sortie de la télévision berlusconienne : trois changements de costumes pendant « Quel guardo il cavaliere », cela amuse la galerie… mais en détourne l’oreille autant que le regard. Nadine Sierra joue certes avec enthousiasme et talent cette coquette se moquant bien d’Ernesto, très sensible aux mains baladeuses de Malatesta et réduite à un corps hyper-sexualisé – une option qui ne peut que reposer sur la plastique hollywoodienne de l’interprète. Mais quel contresens par rapport à la Norina du livret, veuve émancipée, lectrice critique, jeune femme à poigne mais aussi vraie amoureuse, et qui joue plus de son esprit que de sa séduction pour parvenir à ses fins ! Michieletto aurait pu également alléger le jeu répétitif et outré de Florian Sempey, qui se délecte de son Malatesta simili-mafieux avec force appels au public – à l’instar des œillades coquines et satisfaites de Norina-Sierra. En faisant tomber le « 4e mur » en plus des cloisons de la maisonnée, Michieletto fait entrer la facilité dans son procédé, et un rien de vulgarité. On préfère de loin les autres moments, ceux où les personnages se regardent entre eux plutôt qu’ils ne se contemplent dans les rires du public.

C.C.

A lire : notre nouvelle édition de Don Pasquale / L’Avant-Scène Opéra n° 302.

Florian Sempey (Malatesta), Michele Pertusi (Don Pasquale) et Nadine Sierra (Norina). Photos : Vincent Pontet.