CD CPO 555 653-2. Livret en allemand et en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Né à Vienne en 1860 et mort à Berlin en 1945, Emil Nikolaus von Reznicek mena une triple carrière de compositeur, chef d’orchestre et professeur qui le mena de Prague à Weimar, en passant par Mannheim, Varsovie et Berlin. Dans cette dernière ville, il fut notamment chef au Komische Oper (1909-1911) et professeur d’instrumentation à la Hochschule der Künst (1920-1926). Son catalogue lyrique comprend une quinzaine d’ouvrages, dont le plus célèbre, Donna Diana, fut créé à Prague en 1894 et repris par Mahler à l’Opéra de Vienne en 1898. En 1929, Reznicek composa Benzin (Essence), dont il tira le sujet du premier tour du monde réalisé cette année-là par le LZ 27 Graf Zeppelin : l’essence qui donne son nom à l’œuvre est celle nécessaire au ravitaillement du dirigeable Z. 69, obligé de faire escale sur une île mystérieuse afin de compléter son tour du monde par l’Équateur. Ce Zeitoper est toutefois d’une nature particulière puisqu’il tire également son origine de la pièce El mayor encanto, amor (1637) de Calderón et de l’Odyssée. Qu’on en juge : Circé des temps modernes, la reine de l’île, Gladys Thunderbolt, métamorphose en animaux les hommes qui ont le malheur de tomber dans ses rets. Ses charmes maléfiques s’avèrent toutefois impuissants sur Ulysses Einsenhardt, le commandant du zeppelin au nom prédestiné et dont la richissime Gladys tombe follement amoureuse. Après quelques épisodes tragi-comiques, la jeune femme renonce à la sorcellerie, Ulysses tombe dans ses bras et accepte de partir avec elle à New York.
Refusée en 1929 et 1930 par les opéras de Hambourg puis de Leipzig, cette « comédie fantastique en musique » dut attendre 2010 avant d’être finalement donnée à Chemnitz et enregistrée par le label CPO. Mentionnons au passage que, outre plusieurs disques consacrés à la musique instrumentale de Reznicek, le catalogue CPO comprend aussi les opéras Donna Diana et Ritter Blaubart. On découvre ici une œuvre d’une grande verve, qui rappelle par moments le Richard Strauss (fréquent compagnon de skat de Reznicek) d’Intermezzo ou de La Femme silencieuse, mâtinée de rythmes désopilants de danses (fox-trot, valse, tango...) et entrecoupée d’ensembles (duos, quatuors et même septuor...) d’une virtuosité d’écriture absolument éblouissante. D’un excellent niveau, la distribution est dominée par la Gladys vipérine puis vulnérable de Johanna Stojkovic, le commandant Ulysses autoritaire à la voix un peu nasillarde de Carsten Süss, le Freidank attachant d’Andreas Kindschuh et surtout l’irrésistible Violet à la voix fruitée de Guibee Yang. À la tête de l’Orchestre philharmonique Robert-Schumann et du Chœur de l’Opéra de Chemnitz qui sonnent de façon remarquable, Frank Beerman dirige avec beaucoup de nerf une représentation des plus réjouissantes.
L.B.