À l’instar de Krzysztof Warlikowski (à la Monnaie de Bruxelles, en 2008), mais de façon moins drastique et moins crue, Jean-Yves Ruf a choisi d’adapter les dialogues en alexandrins de la version originale de Médée (1797) afin de donner à la tragédie lyrique de Cherubini des accents plus proches du spectateur contemporain. Là où son prédécesseur utilisait l’amplification des voix sur fond de chansons yéyé, il a préféré utiliser une bande-son spectrale basée sur la musique même de Cherubini afin de créer un climat lors des passages parlés – qui sonnent de façon acceptable. Le résultat paraît assez proche de la production bruxelloise, sans offrir cette sophistication visuelle ni la complexité dramaturgique qui y fascinaient tant. La vision reste ici au premier degré et l’accent est mis sur la passion dévorante de l’héroïne pour l’homme qui l’a répudiée ; elle y perd, du coup, un peu de sa dimension mythique. Le décor unique de Laure Pichat – une boîte de faux marbre gris qui, de bain oriental pour la scène d’ouverture, se transforme en temple avec piscine lustrale pour les scènes rituelles – crée une sensation d’étouffement qui est sans doute la métaphore de l’enfermement obsessionnel de Médée prise au piège de son abandon.
Tineke van Ingelgem s’impose dans le rôle-titre par sa stature et des aigus puissants qui lui permettent d’en incarner les fureurs, mais elle paraît légèrement démunie pour les aspects plus centraux du rôle et parfois un peu empruntée scéniquement, sans doute à cause de sa haute taille. Passé son air d’entrée au chant décousu dont les aigus lui échappent, Marc Laho retrouve ses moyens pour affronter les grands ensembles et ses deux duos avec Médée au premier et au deuxième actes, et compose un Jason crédible. Brillante mais peu compréhensible, la Dircé de Juliette Allen laisse entendre un peu de verdeur et de fatigue à la fin de son grand air à vocalises. En Créon, Jean-Marc Salzmann ne démérite pas malgré un format vocal limité tandis que le mezzo clair de Yete Queiroz (Néris), bien aidé par des tempi allants, donne de son grand air avec basson obligé une interprétation émouvante et débarrassée de toute emphase.
Hervé Niquet a opté pour lecture nerveuse et contrastée de la partition. Après une ouverture sur les chapeaux de roue où les cuivres savonnent un peu leur traits et où des silences prolongés s’intercalent entre les mouvements, elle donne beaucoup de relief à tous les passages orchestraux et notamment au magnifique prélude du troisième acte, malgré une machine à tonnerre bien peu convaincante. Le chœur Accentus se révèle comme toujours impeccable. Le succès de la production (présentée à l’Opéra de Dijon en 2016) prouve que le langage de Cherubini est redevenu accessible au spectateur de notre époque et que, montée avec intelligence et finesse, Médée a décidément sa place au répertoire.
A.C.
A lire : notre édition de Médée / L’Avant-Scène Opéra n° 304.
Photos : Gilles Abegg - Opéra de Dijon.