La nouvelle Carmen de l’Opéra de Québec appelle un bilan nuancé, principalement en raison d’une distribution pour le moins inégale. Heureusement, la Zingara de la mezzo géorgienne Ketevan Kemoklidze suscite globalement l’enthousiasme par la beauté du timbre et un fort tempérament dramatique, mais ne maîtrise pas encore l’ensemble de son rôle. Fâchée avec la justesse, elle rate son entrée, se ressaisit rapidement par la suite, mais perd à nouveau ses moyens dans un Air des cartes au rythme incertain et qui tombe à plat. Sa diction s’avère assez satisfaisante, à l’exception des voyelles nasales qui donnent une bien vilaine coloration à sa voix.
Elle se situe néanmoins cent coudées au-dessus de Thiago Arancam, Don José au chant brut, au français absolument incompréhensible et n’ayant aucune idée du style que réclame la partition de Bizet. Fort heureusement, il en va tout autrement avec la Micaëla de Myriam Leblanc. À la pureté de la voix, elle joint une diction claire et une bonne projection ; manquent encore à ce stade de sa carrière un meilleur dosage des nuances et une longueur de souffle qui lui permettrait de briller davantage dans son air du troisième acte. Le baryton mexicain Armando Piña est un Escamillo athlétique, aux aigus percutants et qui fait finalement bonne figure aux côtés de la Carmen féline de Ketevan Kemoklidze. Parmi les excellents rôles secondaires, un nom s’impose avec évidence, Audrey Larose-Zicat en Frasquita. Après sa superbe Lauretta (Gianni Schicchi), ici même en 2016, la soprano se démarque par sa présence scénique radieuse, son intelligence musicale et la splendeur de sa voix, qu’on remarque même au sein des ensembles les plus fournis.
Les chœurs accomplissent un travail admirable : élocution parfaite, belle homogénéité, jeu dynamique, en particulier dans un début de quatrième acte véritablement dionysiaque. On en regrette d’autant plus les nombreuses petites coupures qui réduisent çà et là leurs interventions. Giuseppe Grazioli dirige les chanteurs et l’Orchestre symphonique de Québec avec une ardeur peu commune, déjà palpable dès le début du prélude du premier acte. À condition d’oublier une trompette catastrophique au moment de la relève de la garde, la phalange québécoise répond bien aux intentions du chef tout au long du drame, et ce, jusqu’au dénouement. Sans doute en raison des solistes non francophones, c’est la version avec les récitatifs de Guiraud qui a été retenue.
Dans des décors d’Annabelle Roy qui réservent une large place aux projections, Jacqueline Langlais propose une mise en scène traditionnelle, dont l’une des qualités est de réussir à compenser la modestie des effectifs (32 choristes adultes, 12 choristes enfants et cinq figurants) par quelques idées ingénieuses, comme dans « À deux cuartos » chanté devant le rideau, de chaque côté de la scène. Résolument contemporains, les costumes réservent peu de surprises, à l’exception de l’uniforme guindé (pudique blouse blanche et longue jupe grise) des cigarières, en contradiction avec la nouvelle de Mérimée (où les ouvrières « se mettent à l’aise »). Peut-être gênée par ces tenues de couventines, Jacqueline Langlais a conçu un chœur des cigarières bien peu sensuel, où les femmes se tiennent éloignées de leurs soupirants. Au total, une représentation qui met surtout en valeur de jeunes artistes dans des rôles secondaires et qui savent ce que signifie chanter la langue française.
L.B.
Notre édition de Carmen : L’Avant-Scène Opéra n° 26.
Photos : Louise Leblanc.