Wolfgang Koch (Simone), Charles Reid (Guido), Heidi Brunner (Bianca), ORF Radio Symphony Orchester Wien, dir. Bertrand de Billy (2010).
CD Capriccio C5325. Livret all. et angl. (incomplet par rapport au texte chanté). Distr. Outhere.

Dans la discographie de l’ASO 186, consacrée au couplage Une tragédie florentine / Le Nain et parue en 1998, on saluait le fait que, pour une œuvre ostracisée quarante ans durant et dont la redécouverte datait de vingt ans à peine, quatre versions soient alors disponibles – et pas des moindres. Nous en sommes désormais, avec cette captation live à la radio de Vienne réalisée voici huit ans déjà, à sept versions, Armin Jordan et Vladimir Jurowski ayant entretemps laissé eux aussi leur témoignage au disque (en 2003 et 2014). Richesse incontestable : aucune de ces versions n’est négligeable, hors la première captée à Venise, mineure. Des orchestres de haut niveau (RSO Berlin, Concertgebouw, Gürzenich, LPO, Philharmonique de Radio France, ORF désormais), des chefs de premier rang, tous sans doute moins « terriblement maladroit(s) » que Max von Schillings à la création en 1917 – selon l’avis de l’auteur lui-même –, montrent que Zemlinsky est désormais reconnu à sa juste valeur. Et que la Tragédie, comme Le Nain, œuvres « wildiennes » à l’érotisme torride et à l’expressionnisme envahissant, resteront de vrais témoins de leur temps aux côtés de Salomé, d’Elektra et des meilleurs Schrecker.

Le concert de Vienne s’inscrit haut dans cette discographie, Bertrand de Billy ayant la poigne et la fougue qui convient pour emporter cette joute psychologique tout en faux-semblants vers des sommets de tension qui ne se résoudront que dans un affrontement puis un meurtre aussi rituel que social – et plus encore révélateur d’une intimité amoureuse ignorée jusque là par le couple Simone/Bianca. La luxuriance orchestrale viennoise est ici un fait : même si le RSO Wien n’a pas la splendeur raffinée des concurrents du Philharmonique, il met en valeur les souvenirs de Salomé, les clins d’œil à Puccini, la connaissance intime des Gurrelieder, passés au filtre de la démesure d’un post-wagnérisme tardif mais en rien épuisé. Manquera seulement l’infini travail poétique qu’on entend chez Chailly et chez Conlon surtout, qui s’efface ici devant un impératif moteur et dramatique jusqu’à l’explosion-révélation finale.

Après Alfred Dohmen – lequel, malgré sa voix assez ingrate, aura fixé par trois fois en vingt ans son interprétation du mari vengeur –, Wolfgang Koch s’impose comme le Simone du moment, par la puissance de son chant intarissable – celui du grand wagnérien qu’il commençait à être alors et qui lui permet de devenir référence pour le rôle devant Donnie Albert chez Conlon –, comme par l’impact et la subtilité de son théâtre, qui manie le jeu du chat humble et cruel avec maestria. Ni Charles Reid, ni surtout Heidi Brunner n’ont cette présence envahissante et cette splendeur du timbre et du ton : lui reste raide, sans grand charme ; elle, avec son timbre rauque évoquant plus les mezzos que les sopranos dramatiques, en joue trop pour cacher ses insuffisances en matière de stabilité et de projection. Dommage : on y perd un premier rang que chef et baryton-basse pouvaient briguer dans la comparaison générale. Rang qui restera pour le moment au couple Conlon/Chailly, très différents d’approches mais ô combien complémentaires. Koch sera cependant à chérir à leur côté.

P.F.