DVD Decca 0743944. Distr. Universal.
Renée Fleming , chez elle au Met, fait ses adieux à la Maréchale qui fut le rôle de sa vie ; son « découvreur » Georg Solti, vantant son timbre crémeux, le lui avait prédit : elle serait la « Bichette » de sa génération. La voix s’est certes élimée, la composition est délicieusement maniériste, quasi « schwarzkopfisée », mettant dans les mots ce que les notes ne peuvent plus absolument évoquer, mais quel portrait vraiment !, vivant, piquant, amer parfois, bien plus incarné que dans le spectacle de Wernicke où le grand geste de Christian Thielemann la glaçait un rien, ce que ne saurait faire le débraillé bon enfant de Sebastian Weigle qui peine à tirer de l’orchestre du Met le moindre charme. Gris trottoir, rarement ensemble, voilà la vraie paille de cette version.
La nouvelle mouture expressément réalisée par Robert Carsen pour cette reprise transatlantique de son spectacle aurait mérité d’être mieux saisie. Salzbourg, treize ans plus tôt, avait accueilli froidement sa mise en scène. Il y transposait la Vienne de Rési à l’époque de la création de l’ouvrage, dans le vertige d’un immédiat avant-guerre qui produisait avec la musique stylisée de Strauss, si mozartienne d’esprit, un hiatus… qui demeure, car Carsen n’a en fait rien changé à l’esprit sinon à la lettre de sa vision. Pourtant cet Ochs général, ce troisième acte au bordel, les splendeurs des décors et des costumes, toutes ces facilités ne font pas disparaître les finesses d’une direction d’acteurs qui cerne au plus proche les divinations d’Hofmannsthal et les subtilités psychologiques dont Strauss enveloppe les mots de son poète. Quel dommage : tout cela n’est vu que par instants, sacrifié par le brouillon d’une captation à la diable dont les caméras préfèrent virevolter plutôt que saisir a tempo ce qui se peint sur les visages, ce que disent les gestes.
L’Ochs sans rouerie de Günther Groissböck, au débit pénible (on est loin du parlando virtuose d’Otto Edelmann et de ses aigus faramineux dans le grand monologue), ne laissera guère de souvenirs, pas plus qu’une troupe sans vrai relief et à l’allemand couci-couçà – sinon l’Italienische Sänger de Matthew Polenzani, éclatant, et la toujours irrésistible Annina d’Helene Schneiderman. Mais les deux jeunes gens sont formidables ; Elina Garanca, si jeune homme de silhouette, de visage, est peut-être le plus bel Octavian depuis Jurinac et Troyanos, pour le style ardent , pour la pureté du chant, travesti irrésistible, voix enjôleuse, séducteur cueilli à son propre jeu par le cristal subtil d’une Sophie idéale : Erin Morley, rappelez-vous ce nom. Pour eux deux, pour la Maréchale enfin sans fard mais toujours aussi subtile de Fleming, pour les bons côtés du travail de Carsen, vous pouvez y aller voir.
J.-C.H.