CD Wergo WER 2073 2. Distr. DistrArt Musique.
Le regain d’intérêt pour la science-fiction qui accompagnait le passage du millénaire n’est sans doute pas étranger au thème de l’opéra The Wings of Daedalus (créé en Italie en 2003), où Maurizio Squillante mêle mythologie, thème de l’homme-machine (le Cyborg, mais aussi Dédale et Icare, à la mobilité augmentée par leurs appendices aviaires) et high-tech informatique. Si le compositeur revendique une esthétique néobaroque déterminée par son intérêt pour le mythe, pour la monodie vocale et les petits arrangements avec la part rationnelle de l’esprit humain, on pourrait tout aussi bien décrire son opéra comme un spectacle son et lumière que le disque nous condamne à appréhender dans sa seule dimension sonore, en faisant de facto un… hörspiel.
Passons sur l’argumentaire du compositeur, nous expliquant qu’initié depuis plusieurs années au chamanisme sibérien il a, lors de nombreuses séances de travail préparatoires, accompagné les interprètes dans un état de transe, enregistré puis transcrit leurs improvisations guidées pour les retravailler et en extraire leurs parties vocales. De ce processus « hautement complexe », qui a pour but de plonger dans les profondeurs de la psyché humaine pour accéder à une couche symbolique de l’expression, que l’on imagine tout aussi complexe et impénétrable, on retient essentiellement en effet l’usage exclusif de la monodie. Monodie réduite à sa plus simple expression, très souvent statique, ritualisée par une psalmodie recto tono ou évoluant sur un nombre minimal d’intervalles restreints, caractéristiques empreintes d’une manifeste esthétique primitiviste. Lorsque la complexité rejoint l’indigence…
Les voix sont surtout sollicitées dans un état altéré : éraillées, étranglées, soufflées, détimbrées ou tendant vers le strohbass, elles rappellent en effet à plusieurs reprises les rituels chamaniques, qu’ils soient sibériens, mongols ou amérindiens. Mais une fois dissipé son bref effet de surprise, une telle vocalité, dont la palette expressive reste somme toute étroite, paraît systématique. Conçu par David Haughton et Fabio Squillante – on reste en famille –, le livret "mytholo-geek" relève davantage de l’emphase hollywoodienne que de la truculence baroque. Revient à David Haughton, impliqué dans deux rôles en tant que récitant, une importante occupation de la scène qui, en vertu d’effets déclamatoires dont s’empareraient volontiers les méchants envahisseurs de la saga Star Wars, draine une bonne dose, assurément involontaire, de burlesque. Lorsqu’elles se rapprochent d’une technique vocale plus conventionnelle, les voix sont de qualité inégale. À l’exception du contreténor Alessandro Carmignani, qui en dépit d’une certaine dureté de la projection développe un timbre homogène, tous les interprètes amenés à se rapprocher de façon ponctuelle d’une expression lyrique, et en premier lieu Pauline Vaillancourt, manifestent des aspérités de timbre que l’on attribuerait volontiers à un excès de tension ou de fatigue physiologique.
Spectaculaire, la musique électronique l’est également, au sens hollywoodien du terme. S’il peut paraître cohérent qu’un opéra futuriste renonce à toute source instrumentale acoustique, les textures assez organiques, produites principalement par le traitement du matériau vocal enregistré (via la synthèse granulaire ou la synthèse croisée) sont trop exclusivement utilisées sous formes de nappes, ajoutant à celle des parties vocales leur propre inertie. Comme bien d’autres de cette production, les sons synthétiques de sabre laser convoqué pour la scène de combat entre Dédale et Cocalus, roi de Sicile, renvoient directement à un imaginaire cinématographique grand public.
Si l’on est prêt à adhérer à ce chamanisme bon marché et à grand spectacle, on pourra trouver un intérêt à cet enregistrement. Dans les autres cas, on sera peut-être amené à sourire, mais on fera aussi bien de passer son chemin.
P.R.