Michèle Lozier (Ascanio) et John Osborn (Benvenuto Cellini).
Après Londres où elle fut créée (English National Opera, 2014), Amsterdam (2015), Barcelone et Rome (2016), la production de Benvenuto Cellini mise en scène par Terry Gilliam arrive à Paris.
L’ancien membre des Monty Python et réalisateur de folies filmées (notamment Brazil et Les Aventures du baron de Münchhausen, sans compter le naufrage dantesque du projet Don Quichotte) avait fait ses premières armes à l’opéra avec La Damnation de Faust (ENO, 2011) ; c’est dire qu’il ne craint rien du mélange de démesure et d’irrévérence, d’avant-gardisme et de singularité propre à Berlioz, ni de son théâtre aussi peu conventionnel que possible. Les ingrédients de Benvenuto Cellini (dans la marmite : un artiste en rupture, un carnaval débridé, un pape capricieux) lui ont à l’évidence parlé ce même langage familier : la représentation regorge d’effets au timing serré (pluie de cotillons sur les spectateurs, gags burlesques ou paillards sur le plateau, acrobates, etc.) et se distingue par une gestion virtuose des impossibles scènes de foule (disputes, carnaval, poursuites), c’est-à-dire aussi des chœurs et des changements de décors à vue. Ces derniers, signés de Gilliam lui-même et d’Aaron Marsden, s’inspirent des geôles de Piranèse pour créer des antres successifs à la profondeur de champ judicieusement exploitée. Les costumes de Katrina Lindsay développent une opposition frontale entre le noir (les bourgeois) et la couleur (les artistes), avec quelques rencontres-clashes à la Vivienne Westwood entre les coupes XIXe et une modernité punk. Seuls regrets : le corsage de Teresa dessert Pretty Yende, et le débardeur à bretelles de Cellini offre du personnage une vision uniment relâchée. Regrets qui s’étendent d’ailleurs à la direction d’acteurs individuelle, bien moins affûtée que la mise en scène d’ensemble : Teresa peine à exister et Cellini à se construire pleinement (mais n’est-ce pas, après tout, un problème inhérent au livret ?). Quant au Pape, abordé uniquement sous l’angle de l’humour, il trahit un autre symptôme : la réduction des enjeux à une succession de situations de vaudeville. Son entrée pharaonique, son costume d’apparat-sarcophage, ses manières de grande folle à peine masquée (partagées par sa suite d’ecclésiastiques qui jouent de la soutane comme des gamines de leur jupette) font sourire, mais diminuent d’autant la tension dramatique qui devrait poindre ici. Clairement, la menace de mort qui pèse sur Cellini n’est pas prise au sérieux : Cellini est traité en pure comédie – c’est une option.
On aurait aimé que l’interprétation musicale bénéficie du même impact spectaculaire. A l’exception de John Osborn et Michèle Lozier, ce n’est pas le cas. L’Américain ne fait qu’une bouchée de la tessiture meurtrière de Cellini et nous ferait croire faciles ses lignes infinies, ses aigus tour à tour attaqués, négociés, filés ou dardés ; et il le fait d’un chant au legato de rêve, à la palette de nuances richement travaillée, et au français remarquable. Par son seul art vocal, il rend Cellini infiniment plus complexe et attachant que ne le fait la mise en scène. Excellence d’interprétation partagée par l’Ascanio de la mezzo canadienne : projection pêchue (un rien dure, parfois, dans les aigus), élocution parfaite, tempérament scénique vif-argent, son travesti est aussi délicieux à voir qu’à entendre, vrai comparse d’opéra-comique. Avec les rôles très secondaires de Francesco (Vincent Delhoume), Bernardino (Luc Bertin-Hugault) et Pompeo (Rodolphe Briand), Cellini et Ascanio seront donc les deux seuls personnages que l’on parviendra à comprendre sans avoir les yeux rivés au surtitrage. Ailleurs, c’est peine perdue : Pretty Yende a beau déployer un chant radieux (quoique léger) en Teresa, son français est globalisé (c’est-à-dire peu défini) ; Maurizio Muraro a, pour défendre Balducci, un timbre un peu charbonneux et un accent très lourd, comme l’est celui de Audun Iversen, que l’on rêverait d’ailleurs plus impérieux en Fieramosca. La palme de l’incompréhensible reviendra au Pape de Marco Spotti, ex-aequo avec le Cabaretier de Se-Jin Hwang : que l’Opéra de Paris puisse accepter une telle absence de travail sur la diction laisse rêveur. Certes, le timbre est profond et majestueux, et l’acteur s’amuse avec la directive « Cage aux folles » de la mise en scène : mais quoi, n’y avait-il pas une basse au français digne à caster ici ? et s’autorise-t-on, d’ailleurs, à massacrer ainsi l’italien quand on chante Bartolo ou l’allemand quand on chante Sarastro ?!
Les chœurs, eux, sont impeccables (à l’exception, en ce soir de deuxième représentation, des ténors très bas dans le tableau de la fonte), tout comme l’orchestre qui, pourtant, n’atteint pas à toute la puissance du Cellini berliozien : la faute peut-être à la direction très prudente de Philippe Jordan, cadré et attentif avant tout. Il aurait fallu plus d’excès et de vision, à la fois pour donner tout son sens à une partition comme imprévisible, et pour tenir son rang face à une proposition scénique foisonnante à l’excès.
C.C.
Encore 7 représentations jusqu’au 14 avril.
A lire : Benvenuto Cellini / L’Avant-Scène Opéra n° 142
John Osborn (Cellini, en haut), Pretty Yende (Teresa), Michèle Lozier (Ascanio), Maurizio Muraro (Balducci), Audun Iversen (Fieramosca) et Marco Spotti (Clément VII). Photos : Agathe Poupeney.