CD Naxos 8.660407-09. Distr. Outhere.
Le festival de Pesaro n’avait pas lésiné en 1986 pour conférer à cet opéra de Rossini, trop vite catalogué comme mineur, le supplément d’âme qu’un Stendhal lui accordait lors de sa création à La Scala durant l’hiver 1819 : Horne, Ricciarelli, Merritt, Renzetti à la baguette, dans une production signée Pizzi, servaient avec un brio inégalé cette partition redevable aux stéréotypes virtuosissimes de l’opera seria. Pardonnée la facilité des emprunts du compositeur à son propre fonds, y compris celui du rondo astucieusemement repris de La donna del lago pour clore ce drame vénitien brodé autour de l’inévitable histoire d’inimitié familiale façon Capuleti-Montecchi, avec réconciliation et lieto fine. D’autant qu’au cœur de l’ouvrage se love une miraculeuse pépite musicale, ce quatuor de l’acte II évoqué dans le De l’amour du romancier dilettante et dont le trait de clarinette initial est, suggère-t-il, une invite à l’abandon sentimental. Ces pages constituent à l’en croire un moment de génie comparable aux plus belles inspirations qu’aucun maître ait jamais eues avant lui, aussi tendre que du Mozart, même si moins profondément triste. A Milan, Rossini savait pouvoir compter sur les talents superlatifs de la soprane Violante Camporese, élève du castrat Crescentini, aérienne Bianca, et de la contralto Carolina Bassi en Falliero, général vénitien épris de cette fille du sénateur ennemi.
Depuis la première captation pesaraise, suivie d’une seconde in loco en 2006 marquée par les prestations de Daniela Barcellona et du ténor Meli en père de la jeune Bianca, la disco-vidéographie ne comptait jusque là que la captation incertaine proposée par Opera Rara et défendue par Jennifer Larmore. Le présent album, reflet audio des représentations de Bad Wildbad dont nous sommes (opportunément ?) privés de rendu visuel, vaut assurément par l’ébouriffante démonstration vocale de la mezzo russe Victoria Yarovaya, d’entrée de jeu ardente, agile, homogène du grave à l’aigu, mordant à pleines dents ses récitatifs, projetant les mélismes de ses cabalettes débridées. Au point de faire ressortir les flottements initiaux de la jeune Napolitaine Cinzia Forte, lesquels, encore malheureusement sensibles à l’heure du fameux quatuor, ne se stabilisent qu’à l’occasion du rondò final. L’objet de tous ses émois, Kenneth Tarver, ici plus ténor di grazia que baryténor à la Merritt, n’a rien à envier à ce dernier au plan de l’élégance musicale, du timbre, voire d’une forme d’agilité préromantique fort licite dans une œuvre somme toute de transition, contemporaine de La donna del lago. La tension exigée au début du premier finale le met cependant à la peine. Autour, un plateau diligent dominé par l’autorité d’un Doge aux sonorités profuses, et dont la Nourrice campée par la vaudoise Marina Viotti, fille du maestro homonyme, n’est pas le moindre atout. Le chef de ces soirées, le désormais omniprésent Fogliani, règne sur cette lagune vénitienne aux harmonies tour à tour irradiantes et tourmentées, cordes chargées d’électricité rythmique et vents gouleyant à ravir, sans lâcher d’un pouce ses chanteurs. Cette quatrième intégrale de Bianca e Falliero concourt bien à sa renaissance.
J.C.