CD Linn CKR 319. Notice en anglais. Distr. Outhere.
Les arcanes de la distribution nous valent de recevoir cet album dix ans après son enregistrement, et postérieurement à l’Esther (Linn, 2012) gravée par les mêmes interprètes selon les mêmes principes. A savoir : dans le respect des conditions de la création. Acis & Galatea ainsi qu’Haman & Mordecai (qu’on nommera plus tard Esther) furent tous deux créés en 1718, pour la cour privée et néanmoins fastueuse entretenue à Cannons par James Brydges, duc de Chandos, richissime ex-trésorier des armées royales. La fortune amassée par le duc lui permettait de posséder son propre orchestre, assorti d’un « chœur » (tous deux dirigés par Johann Christoph Pepusch, futur arrangeur du Beggar’s Opera), aux mesures desquels ont été taillés les deux masks cités plus haut. Butt en a reconstitué les effectifs (qui se distinguaient notamment par l’absence d’altos, tant vocaux qu’instrumentaux), confiant l’intégralité du mask à cinq chanteurs (interprétant aussi les chœurs à cinq parties – dont trois de ténors) et treize instrumentistes. S’il n’est pas le premier à tenter de respecter ce dispositif original (voir l’assez récent album du Boston Early Music Festival, chez CPO), l’esprit dans lequel il dirige son Acis confère à la partition un savoureux caractère de sérénade, aux effets ciselés et chambriste (écoutez le tissu aérien des cordes dans « Love in her eyes » ou dans « Consider, fond sheperd »), où souffle le parfum de la campagne anglaise (les fragrances populaires des mélodies étant relevées par un chant sans apprêts). Certes, la modestie des effectifs limite leur marge dynamique, et c’est pourquoi le chœur extraordinairement pictural qui ouvre la seconde partie manque de puissance d’évocation. On peut aussi regretter que le chef ne joue pas davantage la carte du théâtre : s’il confère à la mort d’Acis une incontestable émotion (le trio est magnifiquement mené), l’arrivée de Polyphème ne génère guère de frissons. Il faut dire que l’excellent Matthew Brook, baryton plus que basse, tire cette figure de Cyclope vers le bouffe en faisant, de par son chant staccato et volontiers distancié, une sorte de Croquemitaine pour rire (notons que son premier air compte ici une strophe de plus que dans la version couramment donnée). Des trois ténors qui se partagent désormais les airs, on remarque davantage le suave Thomas Hobbs qu’un Nicholas Mulroy au chant tout d’une pièce et un Nicholas Hurndall à la ligne peu soutenue. Quant à la soprano Susan Hamilton, boyish voice assez blanche, elle ne campe pas la plus plantureuse des Galatée. Mais ce rôle a-t-il été créé par une chanteuse (invitée) ou par l’un des jeunes garçons du chœur de Cannons ? La question se pose.... Quoi qu’il en soit, si cette version ne menace pas la prééminence des plus réussies (Gardiner, King, Pinnock), elle mérite d’être distinguée pour sa cohérence et son parfum d’authenticité.
O.R.