Magdalena Polkowska (Rusalka), Tadeusz Szlenkier (le Prince), Jacek Greszta (le Vieil Ondin), Darina Gapicz (Jezibaba), Katarzyna Nowak-Stanczyk (la Princesse étrangère), Chœurs et Orchestre de l’Opera Nova de Bydgoszcz, dir. Maciej Figas, mise en scène : Kristina Wuss (Bydgoszcz, 2015).
DVD Dux 8178. Distr. DistrArt Musique.

Connaissez-vous Bydgoszcz, au centre de la Pologne, à distances quasi égales de Gdansk, Lodz et Poznan ? En tout cas, l’Opera Nova local ne fait pas vraiment partie des scènes internationalement reconnues ; si ce DVD n’est pas sa toute première apparition sur les circuits de l’édition musicale – un rôle rempli par le seul enregistrement existant du Manru de Paderewski, paru voici quatre ans –, il témoigne assurément de l’excellente qualité d’ensemble de cet équipement créé en 1958 et considéré comme le centre culturel le plus important Kuyavia-Poméranie.

Cette Rusalka captée en 2015 peut s’inscrire sans craindre le dénigrement dans la vidéographie de l’œuvre qui, par ailleurs, nous entraîne au Met, rencontre des voix aussi impériales que celle de Fleming et propose des productions aussi fascinantes que celle de Stefan Herheim. L’exécution musicale s’avère même de haut niveau, alors que, hors le ténor, pas un seul des noms à l’affiche ne se produit hors de Pologne et que la plupart d’entre eux fait partie de la troupe de l’Opera Nova. Les qualités vocales de chacun sont l’évidence première : voix saines, parfaitement choisies, maîtrise absolue des rôles, personnalité intéressantes. La Rusalka de Magdalena Polkowska est même de tout premier plan par la beauté du timbre, l’étendue des registres, l’investissement dramatique que la voix peut se permettre. Si l’Ondin de Jacek Greszta en impose, c’est un peu en oubliant de nuancer une voix légèrement trop sollicitée vers le haut, alors que la Jezibaba de Darina Gapicz ajoute à une voix d’ombre somptueuse un physique d’héroïne de cinéma. Le Prince de Tadeusz Szlenkier, s’il n’a pas les splendeurs de timbre d’un Piotr Beczala, n’en est pas moins excellent, ne trouvant aucune gêne à dominer la tessiture tendue du rôle, et la Princesse étrangère de Katarzyna Nowak-Stanczyk est elle aussi sans reproche dans sa tessiture de soprano dramatique.

La fosse n’est pas en reste : l’orchestre est excellent, pupitres de bois et de vents en particulier, même si le matériau global est plus souvent démonstratif – voyez comme nous jouons bien – que poétique. Mais l’ensemble est parfaitement apte à rendre l’atmosphère de conte de l’opéra de Dvorak le plus sensible qui soit.

La production est, elle, plus dans l’air du temps. Si elle tend un peu vers la modernité éclatée, elle n’ose pas vraiment les excès du Regietheater. On comprend rapidement que Kristina Wuss a voulu montrer dans Rusalka la dévastation de la nature pure par la société humaine. Un miroir d’eau, un rocher et, par dessus, un beau pont XIXe, arcades de pierre, balustrades de fer forgé et lampadaires urbains, suffisent à camper le propos et l’opposition. En bas le monde de l’eau, en haut les humains, bourgeois indifférents en crinolines et redingotes, qui envahiront tout le plateau à l’acte II d’un ballet bien traditionnel, tandis que la Princesse étrangère séduira le Prince autour d’une table de billard, pour mieux l’abandonner dans la bivalve d’une coquille Saint-Jacques géante. Si la direction d’acteurs est vive et efficace, jouant avec aisance des différents niveaux de société de l’œuvre, les concessions bien inutiles à la mode (un wagon vitré de tramway qui traverse le pont pour amener les compagnes de la naïade à l’acte II, une Jezibaba en Amazone chapeautée) ne font pas une leçon et ne peuvent atteindre à la virtuosité de contenu, de sens et d’implication de la production de Herheim ou de celle de Pountney. On reste ici plus proche de l’opéra traditionnel, joliment habillé, que d’une profonde relecture psychologique de l’œuvre. Mais au delà de la production, c’est un théâtre (un festival aussi) et une vraie troupe qu’on pourra découvrir.

P.F.