DVD Opus Arte OA1247D. Distr. DistrArt Musique.
Etrennée au printemps sur la même scène, Sonya Yoncheva reprenait sa Norma à l’automne de la même année. Anna Netrebko avait renoncé, laissant le chant libre à celle qui stupéfia Bastille par une Lucia admirable de bel canto et qui pourtant laissait voir un personnage. Mais Norma est un autre format, elle veut une grande voix, assise, solide, une colonne de sons façon Anita Cerquetti et la vocalise d’une Joan Sutherland en plus d’une incarnation dramatique qui doit saisir. Maria Callas aura, pour les temps modernes et pour ceux à venir, fixé une sorte d’idéal. Yoncheva incarne absolument le profil pathétique de l’héroïne, avec tous les moyens d’un bel canto éprouvé et beaucoup de caractère dans la voix, sans parvenir toujours à captiver. Pourtant « Sediziose voci ! » vous cueillera, et « Casta Diva », ombré, lunaire mais tragique, où l’ornement est parfait mais surtout expressif, pourrait être un modèle si justement un accent, une inflexion de Callas ne me revenait en mémoire… Il lui manque cette fragilité, la proximité de l’abîme, cette nature de chant équilibriste dont parfois la tension, le quasi-« au bord de rompre », font la vertu : son instrument d’athlète ne peut le susciter, trop sain. Cela sera broutille pour beaucoup, et comment ne pas fêter une telle Norma qui enfin s’approche des grandes prêtresses du temps passé ? D’autant qu’elle est portée par un orchestre fabuleux qu’Antonio Pappano romantise à souhait, et que son Pollione est une quasi-splendeur, Joseph Calleja ayant exactement la vocalité sinon le timbre du ténor bellinien : il lui manque l’aigu noble d’un Valleti, d’un Gedda, son vibrato lui ôte la grâce, qui voudrait évoquer Pavarotti sans toujours en avoir la ligne (et la variété de vocabulaire).
Etrange idée de placer en face de Yoncheva le lourd mezzo de Sonia Ganassi, Adalgisa vériste qui dépare cette soirée où Brindley Sherratt apprend à ses dépens qu’Oroveso a trop d’aigus pour lui. Mais ces petits bémols ne sont rien comparés à la médiocrité effrayante du spectacle, où Alex Ollé modernise Romani avec des kalachnikovs et tombe dans les facilités d’une lecture uniquement politique : alors adieu personnages, dramaturgie des sentiments, destins, la soupe idéologique arase Bellini lui-même. A entendre mais surtout à ne pas voir.
J.-C.H.