CD CPO 777 548-2 (2 CD). Livret en allemand et en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Successivement attaché à trois rois de Prusse (Frédéric le Grand, Frédéric-Guillaume II et Frédéric-Guillaume III) et lié aux plus grands penseurs, écrivains et musiciens de son temps, Johann Friedrich Reichardt (1752-1814) a composé une œuvre abondante encore largement méconnue. Si l’histoire retient surtout ses nombreux Lieder sur des poèmes de Goethe, dont Fischer-Dieskau fut un ardent défenseur, il serait toutefois fort injuste de négliger sa production théâtrale, qui alterne entre Singspiel, opera seria, mélodrame et comédie. Shakespeare lui porta chance, puisque, après sa musique de scène pour Macbeth qui lui valut un beau succès en 1787, il obtint son plus grand triomphe avec Die Geisterinsel (L’Île des esprits), adaptation très libre de La Tempête.
Ce Singspiel fut créé à Berlin en juillet 1798 à l’occasion des fêtes célébrant l’avènement de Frédéric-Guillaume III. À ce moment, le livret de Gotter et Einsiedel – initialement destiné à Mozart puis à Dittersdorf – avait déjà servi à Friedrich Fleischmann (Ratisbonne, 1796), puis allait bientôt inspirer Johann Rudolf Zumsteeg (Stuttgart, 1798), Friedrich Haack (Szczecin, 1798) et enfin Johann Daniel Hensel (Jelenia Góra, 1799). Très marqué par Mozart, Haydn et Gluck, Reichardt ne possède certes pas une personnalité musicale aussi affirmée que ses illustres modèles, mais il réussit sans peine à maintenir l’intérêt tout au long des trois actes de sa partition. Outre plusieurs airs et ensembles d’une belle venue, on portera attention aux finales des deux premiers actes qui atteignent à des proportions quasi mozartiennes, soit une dizaine de minutes chacun. Particulièrement soignée, l’orchestration réserve une place prépondérante aux bois, qui dialoguent merveilleusement avec les voix. Le chef Hermann Max, son orchestre baroque Das Kleine Konzert et le chœur Rheinische Kantorei saisissent tout le raffinement de cette musique qui sait bien épouser le sens du texte. Sans être exceptionnelle, la distribution est dominée par Ulrike Staude, frémissante Miranda, Markus Schäfer, Fernando au style châtié, et surtout par Barbara Hannigan, qui confère beaucoup de force de caractère au personnage travesti de Fabio. Le Prospero d’Ekkehard Abele et le Caliban de Tom Sol compensent par leur intelligence musicale la relative pauvreté de leurs moyens, tandis que l’Ariel de Romelia Lichtenstein manque de légèreté dans les passages sollicitant le registre aigu. Curieusement, il aura fallu attendre quinze ans la sortie de cet album qui, sans prodiguer autant de plaisir que Die Geisterinsel de Zumsteeg dirigé par Frieder Bernius (chroniqué ici), s’avère dans l’ensemble extrêmement réussi.
L.B.