DVD Deutsche Grammophon 073 4932. Distr. Universal.
Moins de dix ans après sa création à Londres, The Tempest du Britannique Thomas Adès a définitivement rejoint le club des plus grandes réussites opératiques des deux dernières décennies. La librettiste Meredith Oakes, en condensant et simplifiant la pièce originale sans pour autant la dénaturer, propose un substrat très efficace sur lequel Adès développe une écriture vocale exempte de clichés comme de tabous, plus soucieuse de pertinence dramaturgique que d'identité stylistique. Fluides ou accidentées, les lignes mélodiques donnent l'impression d'évoluer librement dans un cadre logique. La matière orchestrale repose sur des harmonies polarisées qui se jouent des frontières entre tonalité, modalité et atonalité, et trahit le penchant du compositeur pour les couleurs franches et lumineuses plutôt que pour les assemblages fusionnants.
Robert Lepage aurait-il dû se priver de cet ingénieux décor qui reproduit sur la scène du Metropolitan Opera le théâtre de La Scala, au motif que le « théâtre dans le théâtre » a déjà maintes fois servi ? Ne serait-ce qu'à titre référentiel - Shakespeare lui-même y a recouru -, le procédé est ici parfaitement légitime. En outre, au-delà de l'évocation de Milan, duché perdu de Prospero, la machinerie que suggère cet illustre théâtre renvoie directement à la magie pratiquée par le personnage.
Simon Keenlyside est somptueux dans ce rôle qu'il investit d'une grande force charismatique, comme s'il s'agissait d'étendre jusqu'au spectateur ses pouvoirs magiques. Le bon esprit Ariel est une pleine réussite dramaturgique comme musicale, un de ces rôles qui illuminent un opéra tout entier. Audrey Luna, aussi souple dans sa posture scénique mi-chorégraphique mi-acrobatique que dans sa jonglerie avec des coloratures hautement périlleuses, est tout simplement stupéfiante. Le mezzo clair et chaleureux d'Isabel Leonard convient à merveille à une Miranda virginale puis passionnée, et procure une vraie complémentarité de timbre avec le ténor très nuancé d'Alek Shrader, auquel elle s'associe dans de charmants duos. Caliban, personnage noir mais aussi touchant, manipulé par les Napolitains échoués sur son île et déjà colons, contribue aussi largement à la richesse de l'opéra, et Alan Oke donne à ce négatif d'Ariel une véritable épaisseur, voire une touche de noblesse, notamment lors du magnifique air « Friends, don't fear ».
Aucun rôle secondaire n'a été négligé, et les ensembles, notamment le magnifique quintette « How good they are », où Adès montre sa maîtrise de la polyphonie vocale, sonnent avec une parfaite homogénéité. Ajoutons une très belle scène de ballet lors du festin, des chœurs adroitement mêlés à l'action, un orchestre totalement investi et visiblement sécurisé par la direction très enveloppante et souple du compositeur, et tous les ingrédients du chef-d'œuvre sont réunis pour deux heures d'un spectacle sans la moindre baisse de régime.
P.R.