Vittorio Grigolo (Hoffmann), Sofia Fomina (Olympia), Christine Rice (Giulietta), Sonia Yoncheva (Antonia), Thomas Hampson (Lindorf, Coppelius, Dappertutto, Miracle), Kate Lindsey (Nicklausse, la Muse), Christophe Mortagne (Spalanzani), Eric Halfvarson (Crespel), Vincent Ordenneau (Andres, Cochenille, Pittichinaccio, Frantz), Catherine Carby (la Mère d’Antonia), Chœurs et Orchestre du Royal Opera House Covent Garden, dir. Evelino Pidò, mise en scène : John Schlesinger (Londres, 2016).

DVD Sony 88985376619. Distr. Sony.

Aimez-vous l’opéra traditionnel, bien carré dans ses bottes d’hier ? Alors ces Contes d’Hoffmann de Covent Garden sont pour vous. On en avait vu personnellement la création en 1981, dont on garde aussi la captation (Sony) comme témoin d’une certaine tradition bien désuète : version Choudens, portée charpentée par George Prêtre – John Schlesinger tirant, lui, le mieux qu’on puisse de ce qu’on considérait alors justement comme la tradition. A l’époque, juste après Chéreau qui y avait ramené le romantisme noir et alors que l’édition Oeser révélait une partie déjà de ce qu’on a retrouvé depuis pour offrir un visage plus véridique des Contes, c’était déjà un rien irritant : si peu de vérité théâtrale dans ce vieux théâtre, même si bien ficelé par un cinéaste ! À Londres, cela n’aura dérangé personne alors, et pas plus depuis : après des 35 années de bons et loyaux services avec défilé constant de vedettes ravies de s’afficher dans des rôles à succès garanti, on retrouve donc le même produit, pratiquement inchangé. Seul le délicieux « Vois sous l’archet frémissant » de Nicklausse est venu s’infiltrer dans l’acte d’Antonia. Tant pis pour la recherche des vrais Contes. Mais si le spectacle n’a pas bougé, il ressort mieux à l’écran, l’art de la captation ayant entre-temps réalisé les progrès que l’on sait.

La direction d’orchestre nous laissera indifférent : il ne s’y passe rien de particulier, cela mène son train sans heurts, sans exploits. Côté chant, c’est aussi discutable qu’à la création même si l’on maîtrise mieux le français dans les rangs du chœur et des seconds rôles, et que, hors Christine Rice incompréhensible, les premiers plans le pratiquent excellemment. Si la voix de Vittorio Grigolo manque de brillant au début du prologue, le raffinement du chant, l’art de l’allègement et le français parfait en font un Hoffmann de tout premier ordre. L’intelligence, la modernité du jeu et l’élégance de l’acteur y ajoutent encore : c’est une perfection. Qu’on retrouve quasi égalée par l’Antonia de Sonia Yoncheva. Mêmes qualités de raffinement du chant, de splendeur du timbre, sinon d’incarnation théâtrale, pas aussi poussée : c’est l’une des plus belles Antonia qui soit. On ne peut hélas pas faire les mêmes compliments aux quatre vilains de Thomas Hampson, désormais trop souvent à bout de voix, timbre défait, décoloré, projection appuyée, ambitus dépassé : tout l’art du chanteur n’y peut rien changer, c’est trop tard et trop lourd pour lui. Seul l’échauffement progressif de l’instrument lui permettra de proposer un Docteur Miracle qu’on puisse saluer comme à peu près digne de sa réputation. Aigus piqués parfois un peu savonnés, timbre sans chair, sans grande expression : ni le jeu ni le chant de la Poupée de Sofia Fomina ne marquent. Rice a au contraire un instrument royal pour une Giulietta de grand format, comme le port, mais le jeu reste bien trop au premier degré, la présence n’imposant finalement rien que le chant. Le beau Nicklausse de Kate Lindsey, très convaincant sur le plan du travesti, serait parfait si le timbre ne laissait ici ou là passer une mollesse trop sensible, qui devient alors laisser-aller stylistique. Seconds rôles de très bon niveau, bien caractérisés sur le plan vocal, à commencer par les quatre Valets de Vincent Ordenneau ou le Spalanzani de Christophe Mortagne.

Au bilan, c’est pour Grigolo avant tout, puis pour Yoncheva et pour l’instrument de Rice qu’on ira à cette tradition ressassée – sans qu’on parvienne à y trouver une référence.

P.F.