Otello
Verdi
1 cœur
Nikolai Schukoff (Otello), Melody Moore (Desdémone), Lester Lynch (Iago). Orch. Gulbenkian, dir. Lawrence Foster (2016).
CD Pentatone PTC 5186 562. Distr. Outhere.
Enregistrer un opéra en studio est devenu de nos jours une absolue rareté, tant les coûts sont prohibitifs dans l’état actuel du marché du disque classique. A fortiori s’agissant d’un pilier du grand répertoire, qui plus est notoirement difficile à distribuer, comme dans le cas d’Otello. L’initiative de la firme néerlandaise Pentatone retient donc l’attention, mais pose inévitablement des questions de fond. A commencer par celle-ci : comment se positionner en 2016 dans un paysage discographique surchargé de références ? S’il s’agit d’accepter la comparaison avec les grandes versions qui ont jalonné l’histoire d’Otello au disque, autant dire d’emblée qu’on est loin, très loin du compte. S’il s’agit de donner une photographie instantanée d’interprètes actuels qui ne comptent pas parmi les grandes stars du moment, on peut prendre au sérieux l’audace de l’éditeur et examiner les choses dans l’ordre. Basé à Lisbonne, l’Orchestre de la Fondation Gulbenkian n’est pas le Philharmonique de Berlin, mais Lawrence Foster est un chef de grande expérience, un éducateur d’orchestres qui s’entend, sinon à transformer le plomb en or, du moins à faire sonner une formation de province avec plénitude et équilibre. C’est ce qui se passe ici, avec un souci de clarté et fluidité qui se retrouve aussi dans le traitement très détaillé du chœur. C’est très musical, très conduit, dans des tempi modérés qui permettent de rendre justice aux nuances de l’écriture, mais cela manque de la violence et du souffle shakespeariens qui devraient nous saisir par le col dès la tempête.
La révélation de l’enregistrement est la Desdémone de l’Américaine Melody Moore : voix riche au point d’être luxurieuse, aussi large que longue, elle sait rendre justice à l’intimité lyrique comme aux déploiements dramatiques. Lui manque juste une touche un peu plus personnelle qui transformerait une excellente prestation en moment de grâce. Le Iago de Lester Lynch a la voix trop onctueuse pour un Iago, loin du mordant vigoureux et des accents contrastés qui font le baryton Verdi. Reste évidemment le rôle-titre, sur les épaules de qui tout repose. On avait quelques préventions en lisant le nom de Nikolai Schukoff : elles se sont malheureusement vérifiées. On reste songeur face à la constance avec laquelle ce très attachant et très honorable ténor autrichien poursuit depuis pas mal d’années une carrière de ténor héroïque sans en avoir les épaules. Qu’il soit bon musicien et acteur émouvant, on le sait. Mais de là à immortaliser Otello au disque ! Le scrupule mis à respecter la partition saute aux oreilles, mais la voix étroite et mate, sans élan ni vaillance, ne parvient pas à habiter un rôle dont il n’a ni l’ampleur, ni la couleur, ni l’élan.
Marque de fabrique de la marque Pentatone, fondée par des anciens de Philips, la prise de son est absolument magnifique de clarté, de précision, de profondeur. Seulement voilà : elle est au service d’une interprétation pâle et sage, qui peinera à trouver sa place dans la discographie.
Christian Merlin