CD CPO 555 120-2. Livret en italien et en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Singulier destin que celui de cet opéra de Franz von Suppé créé à Hambourg en 1885 sous le titre Des Matrosen Heimkehr (Le Retour du marin). Renonçant aux sujets légers qui lui avaient valu la gloire, le compositeur renouait alors avec la veine de l’opéra sérieux à laquelle il avait renoncé depuis Das Mädchen vom Lande (1847) et Paragraph drei (1858). Sous-titré « opéra romantique », l’ouvrage remporta un beau succès sous la direction de Suppé dans la ville hanséatique, mais tomba rapidement dans l’oubli, avant que la partition ne soit détruite lors des bombardements de l’Opération Gomorrhe de 1943. En 2007, le chef Adriano Martinolli D’Arcy découvre une copie de l’œuvre aux États-Unis, ce qui rend possible sa résurrection six ans plus tard au Théâtre national croate de Split, ville natale de Suppé. Si Loris Voltolini dirigeait ces représentations, c’est Martinolli D’Arcy qui a pris le relais pour le présent enregistrement, réalisé à Rijeka en 2016. Dans les deux cas, on a préféré la traduction italienne (qu’on retrouve dans la réduction pour piano) à l’original allemand d’Anton Langer, puisque l’action se déroule en milieu italophone, sur la côte dalmate, en 1816.
Aussi étrange que cela puisse paraître de prime abord, l’intrigue, quelque peu bancale avouons-le, rappelle à la fois Simon Boccanegra et Le Barbier de Séville. Après vingt ans d’absence, le marin Pietro rentre dans sa patrie et retrouve la fille qu’il avait eue autrefois avec la femme qu’il n’avait pu épouser et disparue depuis. Son enfant, Jela, est convoitée par le podestat Quirino, avatar de Bartolo qui cherche à contrecarrer les projets matrimoniaux de sa pupille avec le jeune Nicolò. Lorsque le vieux fat veut éloigner l’amoureux de Jela en l’enrôlant de force sur un navire, Pietro offre de le remplacer. L’opéra se termine dans la liesse générale, le peuple chantant les louanges du marin généreux et exaltant la grandeur de la patrie dalmate.
Avec sa grande richesse d’invention mélodique et son orchestration rutilante, ce Retour du marin méritait amplement d’être redécouvert. Outre de splendides airs, duos et chœurs, la partition comprend de nombreux airs de ballet, en particulier au second acte. À la tête de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Rijeka, Martinolli D’Arcy sait trouver le juste équilibre sans jamais forcer la dimension légère ni exacerber les moments plus dramatiques. Étincelante, la phalange orchestrale se situe nettement au-dessus des chœurs, qui peinent à rendre parfaitement justice à l’écriture parfois assez complexe de Suppé. Seul membre de la distribution de Split à reprendre son rôle, Ljubomir Puškarić est un Pietro rayonnant, au timbre de baryton faisant penser à Piero Cappuccilli, d’une élégance racée et qu’on rêve d’entendre dans le répertoire verdien. Mention également à Mariukka Tepponen, Jela frémissante et à la voix d’une grande séduction. On pardonnera aisément à Aljaž Farasin sa palette de couleurs limitée et à Giorgio Surian son ample vibrato, car tous deux traduisent à merveille l’amoureux juvénile et le barbon prétentieux. Au final, voilà un coffret qui, en plus de mieux faire connaître un compositeur qu’on aurait tort de réduire à quelques ouvertures célébrissimes, met en vedette de remarquables artistes injustement méconnus.
L.B.