Peter Kálmán (Bartolo), Catherine Trottmann (Rosina), Robert Gleadow (Basilio), Florian Sempey (Figaro), Annunziata Vestri (Berta) et Michele Angelini (Almaviva).
Le Barbier de Séville par Jérémie Rhorer et Laurent Pelly, c’était une promesse de feu d’artifice musical et scénique que la production du Théâtre des Champs-Elysées ne tient que bien partiellement – à moins que les réserves que l’on va ici formuler ne s’estompent au fur et à mesure des représentations. Il faut d’ailleurs préciser que le public a réservé un accueil très chaleureux à toute l’équipe, le soir de la première, pour sa part sans réserve.
D’où vient que le rendez-vous paraisse manqué ? D’abord d’un Cercle de l’Harmonie en petite forme, n’évitant pas les incertitudes d’attaque et sonnant bien maigre malgré la direction de Rhorer, toujours aussi équilibrée entre précision et souplesse. L’ouverture elle-même ne fait pas l’effet escompté, infiniment chantée, certes, mais finalement sans électricité. Côté plateau vocal, une belle énergie est à l’évidence partagée entre chaque interprète mais on remarque en premier lieu les disparités de technique ou de présence, aggravées par une direction d’acteurs souvent agitée voire désordonnée – le fossé se creuse alors entre ceux qui s’y laissent prendre, y diluant le dessin de leur personnage et son efficacité, et ceux qui savent y résister, par une autorité intérieure et une maîtrise corporelle autrement tenue. Parmi les premiers, Catherine Trottmann, Rosina piquante mais bien faible dans le bas-médium (l’entrée de « Buona sera », par exemple, est peu audible), et Florian Sempey, Figaro stentorien mais au fiorito glissant et au jeu très extérieur ; Laurent Pelly leur réserve étonnamment une caractérisation hystérisée et des va-et-vient bousculés et lassants – Figaro en paraît parfois antipathique et sans aura, et Rosina, plus pimbêche que fine mouche. A l’opposé, Peter Kálmán (Bartolo) fait montre d’un métier consommé, y compris une science burlesque du corps et du timing avec laquelle la régie de Pelly donne alors son meilleur, gérant le chronomètre et le millimètre du buffa avec la même vigueur que Rossini sa rhétorique de doubles croches ; dans le même esprit, Robert Gleadow (Basilio) délivre une « Calunnia » parfaitement pensée, entre bonimenteur de tréteaux et mage fascinant, sachant l’économie du geste et la précision de l’intention – et du chant. Michele Angelini est un cas à part : excellent musicien, de sa Sérénade à son air final, d’un grand raffinement stylistique mais à la projection très limitée hors de sa zone de confort (l’aigu) ; un comte Almaviva aristocratique, certes, mais au panache trop alternatif. Annunziata Vestri (Berta) paraît moins en forme qu’à Monte-Carlo il y a quelques mois, poitrinant un peu sauvagement sa ligne ; Guillaume Andrieux est un Fiorello scrupuleux (il est Figaro dans la seconde distribution de « Jeunes Talents » qui alterne avec celle-ci) et le chœur Unikanti délivre une prestation soignée, y compris dans sa gestuelle chorégraphiée – pour laquelle un grain de folie supplémentaire ne nuirait pas.
L’un des mérites de la production est d’offrir un Barbier neuf à l’œil et scénographiquement amusant, Laurent Pelly signant des décors à la ligne directrice simple, judicieuse et créative : tout se déroule dans de grandes feuilles de papier à musique, avec des jeux de points de vue (feuilles volantes, cahier ouvert puis refermé, interlignes agrandis…) et d’effets (les portées jouant aux barreaux de prison, les notes tombant en flocon pendant la Tempête) souvent poétiques. On regrette d’autant plus que certaines jolies idées restent inabouties : Figaro écrivant sous la « dictée chantée » d’Almaviva (pourquoi se contenter d’une mesure répétée en boucle, qui ne réjouit ni l’œil ni l’esprit ?), les portées-barreaux (pourquoi disparaître à peine convoquées ?), le Barbier en deus ex machina descendant des cintres (pourquoi répéter l’effet, la seconde fois perdant toute surprise ?). Difficile Barbier, difficile buffa… dont la clé est parfois rétive aux meilleurs.
C.C.
A lire : Le Barbier de Séville / L’Avant-Scène Opéra n° 37
Catherine Trottmann (Rosina), Florian Sempey (Figaro) et Michele Angelini (Almaviva).
Photos : Vincent Pontet.