Dan Burton (Don Lockwood).
Créée en mars 2015 au Théâtre du Châtelet où elle fut reprise en fin d’année, la production de Singin’ in the Rain n’en finit plus d’enchanter Paris. Le théâtre étant fermé pour travaux, elle s’est réinventée dans la nef du Grand-Palais où une salle a été installée (en disposition frontale, offrant donc le maximum de visibilité), le cadre de scène du Châtelet, recréé (judicieuse idée du metteur en scène, Robert Carsen) et l’acoustique, retravaillée de façon virtuose : l’écho démesuré du lieu se fait oublier (il se rappelle seulement à l’auditeur lors des applaudissement rythmés accompagnant le dernier tableau), sa monumentalité n’empêche en rien la perception fine des dialogues, sonorisés sans que jamais leur dynamique ne paraisse forcée, et les interjections enregistrées censées venir du public vous font tourner la tête tant elles paraissent réelles – un exploit signé Stéphane Oskeritzian.
On retrouve avec bonheur le chef de la création, Gareth Valentine, la pétulante Jennie Dale dans le double rôle de la journaliste Dora Bailey et de la professeure de diction Miss Dinsmore, ainsi que les formidables Dan Burton (Don Lockwood), Daniel Crossley (Cosmo Brown) et Emma Kate Nelson (Lina Lamont), laquelle semble lâcher chaque fois un peu plus les rênes de la folie intérieure (et vocale) de son personnage. Kathy Selden est incarnée cette fois par Monique Young, un rien moins vulnérable que Clare Halse, plus femme aussi, en tout cas en synergie parfaite avec Dan/Don et Daniel/Cosmo.
Peut-être avivé par les dimensions nouvelles du plateau, plus grand qu’au Châtelet, l’œil se noie dans une scénographie de pur rêve, dévore les costumes d’Anthony Powell – qui livre une leçon de style, d’histoire, de goût, de chic – et les décors de Tim Hatley que la mise en scène nous fait visiter dans un jeu constant de perspectives et de traversées du miroir/écran. Les lumières, co-signées par Robert Carsen et Giuseppe Di Iorio, sont un des sésames magiques de cet univers – voyez ce réchauffement cuivré qui annonce sans façon une translation de l’imaginaire vers le mythe doré de Broadway...
Cinéma et théâtre, muet et parlant, noir & blanc et technicolor : le sujet de Singin’ in the Rain met en scène l’histoire de nos vies de spectateurs et de nos regards d’enfants, qu’ils aient été émerveillés par une lanterne magique, un acteur sublimé par un rang de bougies ou des effets spéciaux dont l’artifice même est émotion ; et sa réalisation est une ode vertigineuse aux illusions de la scène ou de l’écran. Chaque chanson de Nacio Herb Brown et Arthur Freed est un bijou devenu un standard inoubliable, chaque chorégraphie de Stephen Mear (inspiré par celles de Gene Kelly et Stanley Donen pour leur film de 1952), supervisée ici par Jo Morris, est une plongée dans le double âge d’or des musicals, celui des années 20 à Broadway et celui des années 50 à Hollywood.
En prime, cette année (la production court jusqu’au 11 janvier), vous lèverez les yeux et croirez discerner un ciel étoilé à travers la coupole du Grand-Palais : si peu de chose entre vous et le paradis…
Chantal Cazaux
A lire, nos éditions : La Comédie musicale, mode d’emploi par Alain Perroux, et Opéra et mise en scène : Robert Carsen, L’Avant-Scène Opéra n° 269
Le tableau final.
Photos : Marie-Noëlle Robert - Théâtre du Châtelet.