Marius Brenciu (Prunier), Dmytro Popov (Ruggero) et Ekaterina Bakanova (Magda) à l'acte II.

Après une première Rondine à La Scala en 1994, Nicolas Joel signait en 2002 son Hirondelle « définitive », une coproduction du Capitole et du ROH Covent Garden et une indéniable réussite – passée depuis par Paris (au Châtelet), Monte-Carlo, New York, San Francisco et Tel Aviv. Elle était ce mois-ci de retour à Toulouse, sous la supervision de Stephen Barlow, avec un panache intact. Situant l’action au temps de la création de l’ouvrage (1917) plutôt que sous le Second Empire, les décors d’Ezio Frigerio et les costumes de Franca Squarciapino conservent leur opulence grandiose et raffinée tout à la fois. La transition Art nouveau / Arts déco est l’occasion d’une orgie de mosaïques et de vitraux Tiffany où le souvenir de Mucha voisine avec celui de Klimt, et d’un défilé « à la Paul Poiret » avec robes droites brodées de métal, sautoirs et aigrettes, le tout définissant une atmosphère Sécession qui fait de l’œil à Vienne, ville commanditaire de La rondine, autant qu’à Paris ou Monte-Carlo, reines des Années folles. Tout au plus regrette-t-on que le « petit pavillon » qui doit abriter, à l’acte III, les amours de Magda et de Ruggero et leurs finances précaires se mue ici en majestueux jardin d’hiver, dont la richesse décorative ne peut faire ressentir le hiatus social de l’avant/après fuite amoureuse. Mais la « conversation en musique » straussienne dont rêvait Puccini est finement agencée, tant dans l’espace que par la direction d’acteurs, tout comme l’acte II et son mélange virtuose de spectaculaire et d’intime – même si la partie dansée est ici réduite à sa portion la plus congrue.

Ce retour de l’Hirondelle dans son « nid » toulousain est aussi l’occasion d’entendre une admirable Magda : non seulement Ekaterina Bakanova a les moyens du rôle – aigus irradiants, grave bien posé, chair et fièvre quand il le faut – mais, en outre, elle sait en faire ressentir les non-dits, les espoirs déchus, sans outrance ni pathos, avec une grande finesse, juste et touchante. Dmytro Popov (Ruggero) affiche, surtout au premier acte, une certaine raideur scénique : serait-elle de l’interprète qu’elle sert finalement son personnage de jeune provincial impressionnable et bien élevé ; le ténor se situe dans la lignée des timbres barytonnants, peu latin mais riche de profondeurs agréables et expressives, d’autant que l’artiste, passé ce « Parigi » un rien artificiel (ajouté par Puccini en 1920), fait montre d’un soin stylistique et expressif réel. Marius Brenciu connaît son Prunier sur le bout des doigts et de la mauvaise foi, et Elena Galitskaya est une Lisette décoiffante, tant par son chant brillant que par son tempérament scénique tonique et mutin. A ce quatuor de beau rang l’on ajoute d’impeccables comprimari… et un léger regret : la direction musicale de Paolo Arrivabeni, convaincue, se veut convaincante au point de faire passer souvent la dynamique avant le lyrisme. C’est particulièrement sensible chez Bullier, où la rhétorique du brindisi devient par trop écrasante. Malgré cette réserve, il faut saluer une production et une réalisation musicale qui font honneur à La rondine.

C.C.

 A lire : notre édition de La rondine, L’Avant-Scène Opéra n° 301

 

Le salon de Magda au premier acte.
Photos : Patrice Nin.