Les opéras de Rimski-Korsakov seraient-ils en passe de reconquérir les scènes occidentales ? Après La Fille de neige à l'Opéra Bastille– sans doute l’un des meilleurs spectacles de la saison parisienne 2017-2018 –, c'est au tour de l'Opéra des Flandres de proposer une nouvelle production de Sadko, à l'Opéra de Gand jusqu'au 2 juillet prochain.
Hélas, la mise en scène, confiée à Daniel Kramer, l'actuel directeur de l'English National Opera, peine un peu à donner une unité dramatique à ce livret morcelé basé sur un conte populaire (byline) dont les enjeux ne sont pas très clairs. En voulant actualiser le propos, le metteur en scène élimine le caractère légendaire et la dimension spectaculaire, supprimant purement et simplement l'élément chorégraphique qui fait le cœur même du 7e tableau, celui qui se passe au fond des mers, chez le Roi de l'Océan. Il fait du protagoniste un personnage mal défini, entre chanteur de charme sur le retour et chevalier d'industrie sans scrupule, et ironise systématiquement sur les personnages et sur les situations qu'il tire du côté qui l'arrange mais sans intention dramaturgique identifiable, sinon peut-être celle d'une critique de l'expansionnisme et du nouveau capitalisme russes.
Surplombant le plateau nu couvert de terre noire, un grand écran oppose actualité contemporaine – images de guerre et de violences, matchs de foot, pubs télé – et ciels gris et menaçants où vogue une lune noire pour les scènes subaquatiques. Le décalage entre rêve et réalité est singulièrement bien exploité pour la scène des marchands étrangers, devenus de simples agents touristiques vantant les charmes de leurs pays respectifs tandis que sur l'écran défilent des images réelles de la misère qui y règne. Malgré quelques belles images et un climat souvent plutôt réussi, il manque à cette vision uniformément sombre et pessimiste ces moments de pure magie qu'appelle la musique somptueuse de Rimski-Korsakov, singulièrement dans les pages symphoniques très néo-wagnériennes.
Si le Chœur de l'Opera Vlaanderen n'est pas en reste vocalement pour transmettre la puissante jubilation païenne des scènes d'ensemble, la mise en scène, elle, échoue à la retraduire visuellement. Reste en filigrane l'histoire intime d'un chemin initiatique, celui du rôle-titre et de ses désillusions, finalement en révolte contre lui-même et rejetant la musique et son charme « négatif », représentés ici par l'omniprésence d'un micro sur la scène.
Dans le rôle-titre, peu flatté par la mise en scène, Zurab Zurabishvili ne peut compter que sur son puissant ténor lyrique à l'aigu un peu métallique pour faire croire un tant soit peu à la séduction qui conduit le Roi de l'Océan – Anatoli Kotcherga, bien fatigué – à lui donner sa fille Volchova (l'excellente Betsy Horne) et, à travers elle, l'or des océans. Parmi les rôles secondaires, on citera la Ljubava au mezzo somptueux de Viktoria Yarovaya, qui fait de sa longue complainte de femme abandonnée au 3e tableau l’un des moments de chant les plus captivants de la soirée. D'excellents arrière-plans complètent une distribution de haut niveau que soutient de main de maître Dimitri Jurowsky à la tête d'un Orchestre symphonique des grands soirs. Il est le seul finalement à distiller tout au long de la soirée la magie de l'œuvre en contrepoint d'une lecture à la fois trop complexe et pas assez aboutie pour convaincre pleinement de l'intérêt de cet opéra-féerie de 1897 qui paraît, dans ces conditions, souvent un peu long et difficile d'accès.
A.C.
Notre édition de Sadko (+ Kitège) : L’Avant-Scène Opéra n° 162
Photos : Annemie Augustijns.