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Dans la vision de David Radok, Arsilda, regina di Ponto s'achève sur une scène de désillusion. Tandis que tombent métaphoriquement perruques, paniers et habits de cour et que chacun, avec des vêtements d'aujourd'hui, retrouve son identité après les usurpations du premier acte, disparaît aussi cet élégant XVIIe siècle – celui de la création de l'œuvre de Vivaldi – dans lequel se développait jusqu'ici l'intrigue. Sur la boîte à transformations qui sert de décor tombe alors un climat de lendemain de fête désenchanté qui fait penser à la fin de La dolce vita. Pour faire bonne mesure, le metteur en scène a rajouté, après le chœur de réconciliation qui devrait sceller ce lieto fine auquel chaque personnage aspirait, une reprise de l'air où Lisea se révélait indirectement à son fiancé infidèle, Barzane, qui sonne un peu comme la morale de ce conte. Chacun quitte la scène, seul, laissant entendre qu'après tant de trahisons et de mensonges le passé est bien mort et ne peut être rédimé.

Du jeu de travestissements et d'échange d'identités si caractéristique de l'opéra vénitien, Radok fait ainsi une sorte de marivaudage aux résonances graves. Sa direction d'acteurs donne une authentique profondeur psychologique aux personnages et actualise les enjeux du livret de Lalli sans pour autant le trahir. La force de son propos n'exclut pas pour autant la dimension jubilatoire, renforcée par l'apport des chorégraphies d'Andrea Miltnerova. En ce sens, le divertissement de chasse de la fin du premier acte, qui mêle pantomime, danse et chant, se révèle idéal de légèreté. La beauté des costumes, le raffinement des lumières, l'inventivité des toiles de fond qui, à travers les ouvertures du décor, suggèrent des arrière-plans énigmatiques, tout concourt à faire de ce spectacle une grande réussite.

Du côté des voix, la production n'est pas en reste. Dans le double rôle très central de Lisea travestie en Tamese, son frère disparu dont elle assume les fonctions royales, Lucie Richardot fascine par sa musicalité superlative et son timbre androgyne, au point de paraître quasiment virile lorsqu'elle réapparaît en femme au dénouement. Par contraste, Kangmin Justin Kim paraît si étonnamment féminin en Barzane que l'on jurerait un authentique soprano. Ses aigus éblouissants de pureté rendent proprement magique son air du dernier acte où il lui demande pardon en lui déclarant sa flamme. A eux deux, la mezzo et le contre-ténor concrétisent jusqu'au vertige les ambiguïtés de genre chères à l'opéra baroque. Plus univoque, l'Arsilda d'Olivia Vermeulen apporte toute la virtuosité voulue de son mezzo clair et brillant à son personnage de princesse victime d'une mystification. Il ne manque à Fernando Guimaraes (Tamese) qu'un supplément de souplesse dans la vocalise pour convaincre tout à fait car le chanteur ne manque pas de personnalité et l'acteur se révèle absolument exceptionnel. Le timbre frais de Lenka Macikova convient idéalement à son personnage de jeune fille candide qu'elle incarne avec toute la saveur et la sensualité inconsciente voulues. Excellents également les deux personnages mineurs de Cisardo et Nicandro, remarquablement dessinés par la basse Lisandro Abadie et la soprano Helena Hozova. Mais les qualités de cette distribution d'une totale homogénéité ne seraient rien sans le soutien que lui apporte la direction de Vaclav Luks. A la tête de son ensemble du Collegium Musicum 1704 (chœur et orchestre), superlatif de précision, de beauté sonore et d'expressivité dans l'accompagnement des récitatifs, le chef cimente ce spectacle de très haute tenue qui s'affirme comme une des plus belles et des plus intelligentes réalisations dans le domaine de l'opéra baroque vues depuis longtemps sur une scène française.

A.C.

A retrouver à l’Opéra royal de Versailles les 23 et 25 juin prochains.


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Photos : Petra Hajska.