Des neufs opéras seria napolitains de Rossini, Elisabetta, regina d'Inghilterra, qui est aussi le premier (1815), reste le moins souvent donné. Nous n'avions pas eu l'occasion de l'entendre depuis la production du festival de Pesaro 2004 et cette version de concert, issue d'une toute récente production scénique du Theater an der Wien, excitait d'autant plus notre curiosité que la distribution, à l'exception du Norfolk de Barry Banks, nous était à peu près inconnue, au moins dans ce répertoire.

Alexandra Deshorties possède incontestablement la longue tessiture réclamée par le rôle-titre, depuis un grave naturel et un médium nourri jusqu'à un suraigu puissant à l'éclat un peu métallique. Si la vocalise n'est pas toujours parfaitement maîtrisée, l'expressivité de son soprano sfogato et ses accents quasi « callassiens » associés à une stature proprement royale – que valorise une splendide robe rouge – donnent à son incarnation une autorité impressionnante. Face à elle, la Matilde d’Ilse Eerens – un des rares rôles de second soprano dans un opéra destiné à la Colbran – peut à juste titre prétendre au titre de rivale, malgré une voix plus légère mais conduite avec sûreté qui lui permet de l’affronter avec un aplomb remarquable dans leur magnifique duo de l'acte II. Les années ont certes un peu élargi le vibrato de Barry Banks mais elles n'ont pas entamé la vaillance de son aigu ni sa maîtrise du chant orné. Une fois l'instrument un peu « chauffé », le chanteur fait valoir une virtuosité époustouflante, notamment dans sa grande scène avec chœur de l'acte II, et son sens de la caractérisation lui permet de créer un personnage de fourbe particulièrement réussi. Mais la grande découverte de cette soirée restera, à n'en pas douter, le Leicester de Norman Reinhardt. Dans un rôle aux accents quasi préromantiques, qui exige de l'interprète tout à la fois des qualités de ténor lyrique, quelques excursions dans les registres extrêmes du baryténor et une maîtrise parfaite du bel canto, le ténor américain éblouit par la clarté de son articulation italienne, la beauté et la noblesse de son phrasé, de superbes demi-teintes, un grave soutenu sans excès et un suraigu toujours parfaitement juste qui évoquent par leur intensité Gregory Kunde – en plus jeune. L'excellent Chœur Arnold Schoenberg, à qui Rossini offre en seconde partie une intervention de toute beauté, le Guglielmo bien timbré d’Erik Arman et les minimes interventions de l'Enrico de Natalia Kawalek complètent ce plateau uni par l'expérience de la scène, rendant le concert plus vivant – si toutefois il en avait vraiment besoin à un tel niveau d'excellence.

On connaissait depuis longtemps le goût de Jean-Christophe Spinosi pour le bel canto et ses affinités avec le répertoire rossinien. Son approche semble gagner en maturité au fil des années, plus équilibrée et moins volontairement provocante (notamment du côté des tempi), sans perdre de son originalité. A la tête de son ensemble Mattheus en très grande forme, le chef impose sa vision dès l'ouverture qu'il réussit à arracher au souvenir du Barbier de Séville où Rossini l'a transposée en 1816, en y révélant des accents proprement dramatiques. Toujours extrêmement attentif aux chanteurs, malgré un petit accident de parcours dans le duo des ténors, il exalte les beautés orchestrales d'une partition où les cuivres sont singulièrement présents, donne toute la vie possible à des récitatifs orchestrés (parfois un peu longs) et porte avec son énergie bien connue un opéra dont il révèle toute la séduction musicale et le potentiel dramatique.

A.C.