Chiara Skerath (Zerlina), Marie-Adeline Henry (Donna Elvira), Jean-Sébastien Bou (Don Giovanni, au centre) et Ana Maria Labin (Donna Anna) au Drottingholms Slottsteater en 2016 – avec Krzysztof Baczyk (Masetto) et Stanislas de Barbeyrac (Don Ottavio).
A Versailles se poursuit la Trilogie Da Ponte/Mozart de l’équipe Minkowski/Alexandre, initiée avec Les Noces de Figaro (présentées ici même l’an passé) et coproduite avec le Slottsteater de Drottnigholm où elle débuta en 2015.
On en retrouve le charme et l’élégance, dus à la fois à une scénographie légère et pleine d’esprit et à une mise en scène sans carcan, où la mise en abyme est un jeu plutôt qu’un dogme : si Leporello revêt soudain ses habits de ville lorsqu’il veut quitter son maître (et, donc, la production), bien d’autres passages entre scène et coulisses sont traités avec une grande souplesse d’interprétation, sans forçage autoritaire, laissant l’esprit du spectateur vagabonder librement. Comme pour Les Noces de Figaro, Antoine Fontaine recrée donc un théâtre de tréteaux, avec pour seules cloisons un jeu de voilages imprimés stimulant l’imaginaire (quelques figures cabalistiques évoquent une funeste conjonction stellaire...) et magnifiant la magie de la convention : il nous suffit de croire pour que cela soit. La simplicité est parfois la plus belle des idées. Encore faut-il qu’elle soit mise en forme avec cette beauté-là : les teintes grèges, taupe ou ficelle, la matière vivante du bois et des tissus, les lumières chaudement tamisées (Tobias Hagström Stahl), tout concourt à créer un cocon visuel nourricier.
Une troupe d’acteurs à la fraîcheur juvénile s’y ébat, dirigée fort judicieusement. Face au Leporello de chair et d’instinct de Robert Gleadow (déjà remarquable Figaro dans Les Noces), dont Ivan Alexandre use à plein du charisme de « bête de scène » jusqu’à faire de son corps même le registre d’inscription des conquêtes du Libertin (formidable air du Catalogue en forme de strip-tease !), Don Giovanni est dessiné tout de nerf et de mental, le regard en quête d’horizon, moins désir vorace qu’aspiration permanente – ce qui correspond bien à Jean-Sébastien Bou, vocalité moins mordante que Gleadow mais présence plus sinueuse. Don Ottavio, que le livret place en permanence à côté de l’action plutôt qu’à l’intérieur, est servi de façon très oratorienne par Fabio Trümpy, gardant ainsi sa dignité d’observateur et échappant au danger de mièvrerie qui guette ce fiancé toujours ajourné. Ana Maria Labin trouve en Donna Anna la rondeur qui avait manqué à sa Comtesse, toujours exquise musicienne même si le format vocal, certes adapté à Versailles ou à Drottningholm, nous change des mozartiennes plus opulentes qui ont marqué le rôle. Chiara Skerath a plus de chair que bien des Zerlina : la production a voulu rendre au personnage sa place initiale de prima donna de la partition. Terza donna, pour le coup, a paru en ce soir de première l’Elvira de Marie-Adeline Henry, dont on a peu goûté le chant parfois très dur ou droit et les aigus efforcés. Callum Thorpe, lui, ne fait qu’une bouchée de Masetto et du Commandeur – projection magistrale et timbre généreux.
En fosse, Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre nous offrent le rare plaisir de redécouvrir Don Giovanni. La version de Prague, tout d’abord – l’originelle –, mais aussi des perles d’émotion : la mandoline aux nuances de libellule de Florentino Calvo, le continuo spirituel de Francesco Corti, les voix amenées souvent sur le fil d’un pianissimo chambriste, périlleux mais si intime, fil tendu entre le regard du chef et celui du chanteur autant qu’entre l’artiste et le public… Mais aussi les terribles accords de l’ouverture, que l’on n’avait jamais entendus ainsi jusqu’au-boutistes, quand la fin de l’archet semble signer la chute dans l’abîme.
Restent trois représentations (jeudi 23, vendredi 24, dimanche 26 mars). Courez.
C.C.
A lire : notre édition de Don Giovanni, L’Avant-Scène Opéra n° 172.
Marie-Adeline Henry (Donna Elvira) et Robert Gleadow (Leporello). Photos : Mats Bäcker / Drottningholms Slottsteater 2016.