Evgeny Nikitin (Der Holländer), Ingela Brimberg (Senta), Eric Cutler (Georg), Mika Kares (Donald), Bernard Richter (Der Steuermann), Helene Schneiderman (Mary).
DIETSCH
Russel Braun (Troïl), Sally Matthews (Minna), Bernard Richter (Magnus), Ugo Rabec (Barlow), Eric Cutler (Éric), Mika Kares (Scriften). Eesti filhamoonia Kammerkoor, Les Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc Minkowski (2013).
CD Naïve V5349. Distr. Naïve.
Outre les livrets de Métastase mis en musique des dizaines de fois, il n'est pas si rare que deux compositeurs aient choisi le même sujet d'opéra. Dans le cas présent, le jeune Wagner avait vendu à l'Opéra de Paris un canevas inspiré d'une nouvelle d'Henri Heine et s'était payé ainsi quelques semaines de tranquillité à Meudon pour écrire d'une traite poème et musique du Fliegende Holländer. Dans le même temps la direction de l'Opéra confiait à Louis Dietsch (1808-1865) la composition du Vaisseau fantôme sur un livret de Paul Foucher et Bénédict-Henri Revoil. Créé en novembre 1842, cet ouvrage soutint honorablement onze représentations tandis qu'en janvier 1843, à Dresde, l'opéra romantique de Wagner fut accueilli avec moins de faveur que Rienzi, mais s'imposa durablement.
Bon musicien, Dietsch, qui n'avait pas d'expérience lyrique, s'en tint là et son nom n'est passé à la postérité que pour avoir dirigé, à l'Opéra, le Tannhäuser puis La Reine de Saba au grand dam de Wagner et de Gounod. Comparer les deux Vaisseau fantôme, même - et c'est là un des intérêt de cet enregistrement - dans la version primitive du second (notamment, sans la conclusion céleste, avec harpes, de l'ouverture et du finale) ne réserve guère de surprises.
Dietsch a traité le sujet avec un sérieux qu'on lui a reproché, trouvant, tout comme Wagner avec lequel il se rencontre parfois, ses modèles chez Weber (Le Freischütz), Rossini (Guillaume Tell), Meyerbeer et Halévy. L'orchestre, habilement coloré par les bois, soutient une écriture vocale déliée, exigeante sans être ingrate. Le duo de l'héroïne (Minna) avec le maudit (Troïl), les chœurs opposés puis superposés des deux équipages, le grand monologue de Troïl, la cavatine de Magnus (l'amoureux éconduit devenu moine) dont Berlioz apprécia les harmonies moirées et l'épilogue sacrificiel dominent la partition. En revanche, l'ouverture à tiroir, la chanson prosaïque du père (Barlow) et la Ballade de Minna, si frappants chez Wagner, manquent leur but.
Et c'est là que réside la différence. Après Rienzi où il avait été avare d'effusions mélodiques saillantes, Wagner a compris qu'elles n'amoindrissaient pas la force du drame pour peu qu'elles soient bien encadrées. Der Fliegende Holländer, secoué par le fracas des tempêtes, regorge ainsi de motifs qui restent dans l'oreille et il n'est pas jusqu'aux couplets de Daland (Donald, à l'origine) dont la bonhomie ne renforce la puissance du face à face muet entre Senta et le Hollandais. Les danses, piquantes chez Dietsch, ne craignent pas la lourdeur chez Wagner dont le ténor (Georg, futur Eric) taquine la romance et dont les fileuses ne dépareraient pas La Dame blanche ou Le Comte Ory.
La direction alerte de Marc Minkovski rend justice, avec le même appétit dramatique, aux qualités respectives des ouvrages. Les distributions ont en commun deux excellents ténors, Bernard Richter et Eric Cutler ; quelques inégalités d'Ingela Brimberg n'altèrent pas son incarnation de Senta tandis que la Minna moins dramatique de l'ouvrage français convient tout à fait à Sally Matthews. Pour le père, on préférera le naturel d'Ugo Rabec aux intonations parfois étranges de Mika Kares. Les Hollandais, enfin, répondent parfaitement aux exigences assez différentes de leurs rôles.
G.C.