Sous l’impulsion de Catherine Kollen, l’Arcal montre que l’on peut faire, avec des moyens modestes, des productions de qualité. Il s’aventure aussi dans des répertoires effrayant parfois les grandes maisons, à travers des époques et des styles très différents – qui ose aujourd’hui monter l’Armida de Haydn ou Le Pauvre Matelot de Milhaud ?
On attendait donc beaucoup de la recréation de Chimène ou le Cid d’Antonio Sacchini, dont la postérité n’a guère retenu qu’Œdipe à Colone. Appelé à Paris par Marie-Antoinette après une carrière italienne, allemande et londonienne, Sacchini contribue, comme Gluck, à renouveler la tragédie lyrique, qu’il marie avec le style italien. Adapté de Corneille par Guillard, le librettiste d’Iphigénie en Tauride, Chimène ou le Cid est son deuxième opéra français, après Renaud. Créé au Théâtre de la cour à Fontainebleau en 1783, Chimène vient seulement de ressusciter, grâce à l’Arcal et au Centre de musique baroque de Versailles. C’est plus une découverte qu’une révélation : il manque à Sacchini la puissance et le sens du théâtre de Gluck ou de Salieri, son savoir-faire restant ici en deçà des enjeux d’un drame qui commence après le meurtre du père de Chimène.
Cela dit, Julien Chauvin, artisan il y a deux ans de la réussite d’Armida, conduit l’œuvre avec une belle énergie, également attentif aux couleurs de l’orchestre, suivi par des musiciens du Concert de la Loge très complices. On a réuni une distribution homogène, stylistiquement irréprochable mais parfois un peu terne. Timbre liquide, voix bien conduite, Agnieszka Sławinska manque ainsi de caractère pour incarner vraiment les tourments de Chimène, alors qu’Artavazd Sargsyan, bien chantant au demeurant, pourrait camper un Rodrigue plus héroïque. Mais le Don Diègue de Matthieu Lécroart fait oublier le Roi charbonneux d’Enrique Sánchez-Ramos et l’on suivra la carrière de Jérôme Boutillier, Héraut très éloquent dans une partition qui doit aussi beaucoup aux Chantres du Centre de musique baroque de Versailles.
Que pouvait faire Sandrine Anglade, dont certaines productions, tel son Amour des trois oranges dijonnais, méritaient les plus grands éloges, d’une scène déjà occupée par l’orchestre divisé en deux groupes, alors que le chef dirige au milieu? A-t-on vraiment vu ce « tribunal métaphorique », ce « procès de Chimène » que sa scénographie entendait nous montrer ? Ce n’est pas si sûr. A vrai dire, son travail relève plutôt de la mise en espace. Mais dans ce décor nu et ténébreux, elle a su faire très sobrement quelque chose de rien, aidée par les beaux éclairages de Caty Olive, non sans opérer, pour le combat contre les Maures, un intéressant transfert des enjeux – avec un clin d’œil à La Liberté guidant le peuple de Delacroix.
D.V.M.