OEP587_1.jpg

Avec sa quinzaine de tableaux balayant Ancien et Nouveau Mondes, sa trentaine de numéros musicaux et sa quarantaine de rôles, dont certains vocalement très exigeants, Candide (1956, revu en 1989) de Leonard Bernstein fait figure de défi pour les programmateurs – particulièrement ceux d’Europe, qui ne peuvent compter sur la popularité que l’œuvre connaît outre-Atlantique. Le défi a été brillamment relevé par Toulouse, grâce à une co-production avec le Grand Théâtre de Bordeaux et le Glimmerglass Festival (New York), second plus grand festival d’été américain, particulièrement voué au musical.

Et c’est bien dans l’esprit de ce dernier genre que le directeur artistique du Glimmerglass, Francesca Zambello, a abordé la vaste opérette, qu’elle traite en « pièce de tréteaux » plutôt qu’à la façon d’un somptueux livre d’images (comme Robert Carsen, il y a dix ans, au Châtelet).  Sous une noble charpente inspirée d’un authentique entrepôt du XVIIIe, un jeu de praticables mobiles, de rideaux, estrades, malles et autres accessoires alertement maniés par tous les interprètes évoque successivement le château, l’auberge, le champ de bataille, l’océan, les plages, les plantations et forêts vierges, les missions amazoniennes, les Lisbonne, Cadix, Paris et Venise convoqués par le livret. Un simple banc se change en barque ou radeau de la Méduse, quelques filins bleus représentent la mer en furie : la poésie affleure – tandis que le spectaculaire trouve à s’épancher durant l’autodafé (magnifiquement réussi) ou dans l’El Dorado. On admire surtout la direction d’acteurs, la façon dont a été géré le mélange de chanteurs, danseurs, choristes, accessoiristes, presque tous amenés à coiffer plusieurs casquettes : les chanteurs dansent et certains danseurs chantent, parfois brillamment (Cole Francum). Plein de rythme, faussement improvisé et d’une absolue précision, le spectacle fléchit néanmoins un peu durant l’acte II par la faute d’assez nombreuses coupures (« We are women », « Quiet ! », Barcarole des Rois) qui rendent confus l’épisode vénitien.

En harmonie avec la scénographie, on a opté pour une distribution (américaine) juvénile, soudée, dépourvue de stars, lorgnant elle aussi davantage du côté de Broadway que de l’opéra. Emblématiques, à ce titre, la Cunégonde piquante et haut perchée de Ashley Emerson (amenée parfois à chanter un peu haut, notamment à la fin de « Glitter and be gay »), la Duègne désopilante et savoureuse (mais sans médium et aux registres disjoints) de Marietta Simpson, le Voltaire plein de classe et d’impertinence de Wynn Harmon (mais presque inaudible lorsque la partie de Pangloss l’amène à chanter), le Martin rogue et puissant de Matthew Scollin. Sans doute encore souffrant (il avait déclaré forfait deux soirs plus tôt), le Candide d’Andrew Stenson manque d’éclat, de métal, mais conduit avec musicalité son ténor joliment sombré (très différent de celui de Jerry Hadley, référence discographique du rôle). Notons que le vilain Vanderdendur passe ici de ténor à soprano et que l’Africain Cacambo devient un Boer – l’occasion d’applaudir deux brillants jeunes chanteurs, Cynthia Cook et Andrew Maughan.

Un mot enfin de la direction nerveuse, pleine d’alacrité de James Lowe, dépourvue de la grandiloquence et du caractère parfois sirupeux qu’on pouvait reprocher à Bernstein lui-même : parfaitement tenu et motivé, l’Orchestre national du Capitole se montre sous son meilleur jour, réussissant entre autres de fort belles plages contemplatives (les flûtes et bassons de la Lamentation de Candide). Une production vivifiante, parfaite pour narguer la froidure hivernale…

O.R.

Voir L'Avant-Scène Opéra n° 234 / Candide.


OEP587_2.jpg
Wynn Harmon (Voltaire), Andrew Stenson (Candide), Ashley Emerson (Cunégonde), Marietta Simpson (La Duègne), Andrew Maughan (Cacambo). Photos : Patrice Nin.