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Anja Harteros (Tosca).

 

Parallèlement à Eliogabalo au Palais Garnier, l’Opéra de Paris fait sa rentrée à l’Opéra Bastille avec une reprise de Tosca dans la production de Pierre Audi créée il y a deux ans. On en retrouve le classicisme scénographique, dont les points saillants sont les éclairages de Jean Kalman et la croix monumentale qui domine le décor, et les points faibles, un manque d’idée forte (notamment au II) et une direction d’acteurs par trop relâchée.

Comme en 2014, ceci est d’autant plus criant avec Marcelo Álvarez (Mario) qui agite en permanence mains et bras en cherchant du regard où les poser, vers où les tendre ou comment les croiser. Le chanteur est pourtant plutôt en bonne forme et sa voix, vaillante, grâce à (ou malgré…) un slancio hyper-tendu, un aigu systématiquement attaqué par des notes-tremplins et des nuances souvent binaires. Des intentions musicales sont là, en témoignent un « Qual’occhio al mondo » et un « O dolci mani » très soignés, mais dans l’aigu tout ce qui est en-dessous du forte se désolidarise de la ligne voire se détimbre. Le forte est donc privilégié… et, doit-on reconnaître, tient la distance. Le personnage, lui, en reste à un désespoir univoque et sur-articulé dans sa gestuelle et sa présence scénique.

Paris attendait impatiemment la Tosca d’Anja Harteros et a été comblée. Le port aristocratique de l’artiste, l’insolence de sa projection, la plénitude de son timbre dessinent à l’idéal la ligne puccinienne, emplissant son galbe et ciselant ses moindres intentions. Là encore, une direction d’acteurs plus serrée aurait évité quelque minauderie au I et quelque sur-jeu au III, au-dessus du cadavre de Mario. Mais c’est bien peu au regard du portrait que la soprano déroule par ailleurs et sublime dans un « Vissi d’arte » d’anthologie. Commencé à fleur de voix, l’air semble couler en un seul et infini archet, dont l’expression saisit autant par l’émotion instillée dans le chant que par sa performance esthétique qui devient, en soi, bouleversante. Tout l’acte II est d’ailleurs admirable et la raison en est à chercher du côté d’une évidente alchimie réussie avec Bryn Terfel, troisième grand nom du plateau.

Le Gallois a beau afficher des moyens désormais moindres qu’en ses plus grandes années – et même s’économiser clairement, notamment dans le Te Deum –, il n’en reste pas moins une stupéfiante « bête de scène » doublée d’un interprète remarquablement virtuose : une stature de pilier de rugby, mais des effets dosés aux petits oignons. Son Scarpia est vif-argent, insaisissable, riche de mille nuances de jeu qui passent en un clin d’œil, même hors champ. Il a de ces regards hallucinés que l’on ne sait comment comprendre et qui ouvrent des abîmes de perplexité et de mystère sur le personnage, comme une intimité béante qui soudain se reprend ; et c’est alors le fin rictus, sidérant, le regard bleu laser, glaçant, ou le franc sourire, épouvantable. Un Scarpia terrifiant non parce qu’il est animal lubrique ou cerveau pervers, mais parce qu’il passe de l’un à l’autre en un instant.

Excellent Angelotti d’Alexander Tsymbalyuk dont le timbre magistral confère une grande dignité au Consul évadé, et direction convaincante de Dan Ettinger – en dépit de quelques flottements dans la mise en place au début du Ier acte. Le chef israélien ne se repose jamais sur l’acquis ou l’attendu et offre une lecture malléable aux options plastiques, alenties ici et sans répit là, attentif aux coloris et aux détails miniatures – l’orchestre le lui rend bien, qui l’applaudit chaleureusement à la fin de la représentation. Le public, lui, réserve de plus un triomphe à Harteros. Une soirée avec Tosca comme on les aime.

C.C.

Voir notre édition de Tosca récemment mise à jour : L’Avant-Scène Opéra n° 11.


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Marcelo Álvarez (Mario). Photos (répétitions) : E. Bauer / OnP.