Parmi les quatre reprises proposées par le Festival de Glyndebourne cette année (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg selon David McVicar, 2011 ; Les Noces de Figaro par Michael Grandage, 2012 ; et l’historique Songe d’une nuit d’été de Peter Hall, 1981 –anniversaire Shakespeare oblige), La Petite Renarde rusée par Melly Still (2012) a été la plus remaniée, aussi bien dans ses décors et costumes ou sa chorégraphie que dans son organisation – puisque l’entracte en a été déplacé entre les actes II et III… ce qui laisse opportunément aux Renardeaux le temps d’être conçus pendant le pique-nique des spectateurs ! C’est peut-être pourquoi la soirée nous a enthousiasmés, contrairement à Jean-Charles Hoffelé qui avait trouvé peu de charmes à la captation vidéo de sa création, éditée en DVD.
Dans son millésime 2016, la production de Melly Still trouve en tout cas un bel équilibre entre fantaisie et poésie : dominée par un grand arbre de bois, la naïveté des décors de Tom Pye s’agrémente d’une fluide mobilité, permettant de voyager sans heurt de la forêt à la maison du Garde Forestier ou à l’auberge, comme d’une saison à l’autre (par la grâce aussi de changements de lumières éloquents, signés Paule Constable) ; les costumes (Dinah Collin) confrontent les niveaux de lecture, qui sont autant d’imaginaires possibles pour ce conte à la fois animalier et humaniste (punk-rock pour le Moustique, enfantin pour la Grenouille, féerique pour la Libellule, parodique pour les Poules…), décalant l’identité de chaque personnage vers un accessoire fétiche – telle la somptueuse queue rousse que les Renards tiennent à la main, tour à tour fouet ou leurre, appât ou appas… Fuyant la tentation réaliste, cette scénographie rend justement poreuse la frontière entre humains et animaux, d’autant que la direction d’acteurs de Melly Still joue de regards, de gestes et de déplacements soigneusement adaptés à une équipe d’acteurs-chanteurs tout simplement royale.
Elena Tsallagova est la Renarde : insolence de la projection, fruité sensuel du timbre, vivacité du corps (que les chorégraphies réglées par Mike Ashcroft sollicitent volontiers), candeur et espièglerie mêlées dans le jeu comme dans le chant. Son Renard n’est pas en reste : Alzbeta Polackova offre un soprano racé, aussi subtil qu’expressif. L’ensemble des animaux est remarquable – enfants inclus –, à commencer par le Blaireau magistral d’Alexander Vassiliev (qui revient ensuite sous les traits du Curé). Le Garde Forestier de Christopher Purves est saisissant : son baryton mordant sait se faire intérieur et laisser filtrer les songes ou les regrets. Excellents humains autour de lui : notamment un Maître d’école infiniment émouvant (Colin Judson), devenu – touchante vision – portrait de Janacek, une Femme du Garde Forestier tonique à souhait (Sarah Pring) et un Harasta puissant (Alexandre Duhamel). Le London Philharmonic Orchestra, qui la veille ciselait son Rossini avant de glorifier le lendemain son Wagner, trouve ici des couleurs fauves aussi somptueuses que spirituelles, sous l’admirable direction de Jakub Hrusa (présence généreuse, geste souple, magnétisme évident : le voir est déjà l’entendre !). « Est-ce un conte ou la réalité ? » se demande le Garde Forestier au dernier tableau ; quand orchestre, voix et scène rencontrent ainsi une œuvre qui touche au cœur, c’est un peu des deux à la fois...
C.C.
Notre édition de La Petite Renarde rusée : L’Avant-Scène Opéra n° 252.
Elena Tsallagova (la Renarde). Photos : Richard Hubert Smith.