OEP545_1.jpgJanis Kelly (Berta), Taylor Stayton (Almaviva), Danielle De Niese (Rosina), Björn Bürger (Figaro), Christophoros Stamboglis (Basilio) et Alessandro Corbelli (Bartolo).

 

Deux nouvelles productions au Festival de Glyndebourne cette année, placées sous le signe de deux anniversaires : pour les 400 ans de la mort de Shakespeare, Béatrice et Bénédict sous la direction d’Antonello Manacorda (en remplacement de Robin Ticciati empêché pour raisons de santé) et mis en scène par Laurent Pelly ; et ce Barbier de Séville, ouvrage qui fête son bicentenaire, dirigé par Enrique Mazzola et mis en scène par Annabel Arden.

D’emblée la direction de Mazzola à la tête du London Philharmonic Orchestra convainc : présence souriante et geste vif président à une ouverture tonique, puis une attention gourmande aux chanteurs mène la soirée à bon train, s’autorisant des tempi débridés (« Buona sera ») ou au contraire stupéfiés (pour le grand concertato) par la grâce d’une mise en place très soignée. Le plateau vocal fait mouche par son homogénéité d’esprit, faisant oublier les quelques lacunes ici ou là perceptibles grâce à un charme théâtral indéniable. Danielle de Niese est une Rosina séduisante, fiorito bien mené dans une tessiture dont la part aiguë lui convient mieux que les profondeurs – et certes plus cabotine que véritablement blessée par sa vie avec Bartolo : « Una voce poco fa » est taquin bien plus que menaçant. L’Américain Taylor Stayton est un Almaviva fin comédien, au chant joliment rossinien – n’étaient un chat dans la gorge avant son premier air, et une mezza voce qui se refuse dans l’aigu, frôlant le détimbrage dans le decrescendo. Le Basilio de Christophoros Stamboglis est l’un des plus sonores que l’on a entendus : timbre aux résonances de… basilique, mais intonation trop souvent aléatoire ; et sa « Calunnia », quoique stentorienne, reste générique d’interprétation. Un cran au-dessus se situent les deux triomphateurs de la soirée : Alessandro Corbelli, caution italienne de la distribution (en comparaison avec les récitatifs parfois appliqués de ses confrères) et Bartolo réincarné, dont le sillabando et la présence au personnage, infuse dans chaque geste ou haussement de sourcil, est une leçon, lui permettant de faire fi d’un instrument parfois fatigué en jouant admirablement de la nuance, de la surprise, de la justesse en scène. Quant à Figaro, le voici inhabituellement jeune, fringant et même sexy : l’Allemand Björn Bürger a tous les atouts pour dessiner un Barbier joueur (corps élastique), conquérant (chant triomphal) et sympathique (jeu pétulant). Les seconds rôles sont impeccablement distribués : Berta de luxe avec Janis Kelly dont l’air « Il vecchiotto cerca moglie » se mue en show-stopper et qui domine les ensembles comme rarement ; et excellent Fiorello de Huw Montague Rendall.

Tous sont accordés à une mise en scène dans laquelle Annabel Arden ne révolutionne pas le Barbier mais le sert plus qu’honnêtement, dans une option certes plus cartoonesque que subtile. Toby Sedgwick règle les mouvements dans un agréable esprit burlesque  – le jeu sur les corps est impeccablement chorégraphié. Joanna Parker contribue à un certain surréalisme en installant un dialogue inattendu entre son décor, évocateur de  l’Andalousie maure (coussins orientaux, moucharabiehs dentelés, fresque d’azulejos aux murs), et ses costumes qui plongent, eux, dans un franquisme d’opérette, quelque part entre Buñuel et la BD : le chef de la police a de formidables airs de Sergent Garcia (et Adam Marsden en a la stature !), quand Almaviva rappelle Don Diego de la Vega. On aurait certes aimé une direction d’acteurs qui raffine les personnages (notamment lors des grands airs, laissés à la rampe et souvent sans autre idée qu’un effet scénique), mais ce Barbier qui s’amuse avant tout n’est pas pour déplaire, surtout quand il s’agit d’anniversaire.

C.C.

A lire : notre édition du Barbier de Séville, L’Avant-Scène Opéra n° 37.
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Danielle De Niese (Rosina) et Björn Bürger (Figaro). Photos : Bill Cooper.