Créée en Avignon en 2005, reprise à Toulon il y a deux ans, cette production de Nadine Duffaut ne pâtit pas de son adaptation à une scène plus large : au contraire, la tournette centrale qui en assure la fluidité, en permettant de rapides changements de décors (Emmanuelle Favre), fait encore davantage penser à ces livres animés pour enfants ou à ces boules à neige qui, en fin d’année, décorent tant de vitrines. D’autres détails allusifs (le petit train électrique de l’acte I, les bouteilles de champagne-guinguette du III) servent à brosser le cadre de chacun des cinq actes, souvent dominés par une horloge laissant entendre que le temps de l’insouciance est compté. Car l’action, initialement située sous le Second Empire, a été transposée au début du XXe siècle (les Années Folles ?), ce qui nous vaut de fort beaux, d’extravagants costumes de Gérard Audier – qui ont aussi leur rôle « dramatique » (pensons à la coiffe importune de l’Amirale ou au manteau escamoteur de Madame de Quimper-Karadec). La direction d’acteurs s’avère parfois académique (notamment lors des effets de foule), mais sait éclairer d’un geste les rapports et sentiments qui lient chacun des personnages aux autres.
Et ils sont nombreux, ces personnages ! Car il a été fait choix ici de la version originale de 1866 qui, pour sa trentaine de morceaux (incluant l’intégralité des duos Gabrielle/Frick et Pauline/le Baron, tout l’acte IV avec son trio de la vengeance, ainsi que les couplets d’Urbain au III), exige une grosse vingtaine d’interprètes. Ceux-ci n’ont parfois droit qu’à quelques lignes mais la plupart sont confrontés à diverses difficultés, dont le passage du parlé au chanté n’est pas la moindre : sur ce plan l’équipe réunie à Marseille mérite des éloges (mention spéciale aux hilarants Bobinet, Pauline et Quimper-Karadec de Christophe Gay, Ludivine Gombert et Jeanne-Marie Lévy). Côté lyrisme pur, seules les parties de Metella et de Gabrielle, respectivement envisagées pour Hortense Schneider et Zelma Bouffar, réclament des divas aguerries : Marie-Ange Todorovitch campe, dès son entrée, une Metella pleine d’autorité et d’émotion (Rondeau de la Lettre), en dépit de graves excessivement poitrinés, tandis que Clémence Barrabé, fine musicienne mais timbre aigrelet, ne peut faire oublier la Gabrielle (Philiponet !) de Toulon. Olivier Grand reprend avec sa santé coutumière l’impayable rôle du Baron suédois, mais c’est avant tout Armando Noguera que l’on remarque en Gardefeu, à cause de son irrésistible dégaine proustienne, du chant raffiné, projeté et délicatement suranné de son timbre de baryton Martin. Mieux vaut oublier, en revanche, le Brésilien très insuffisant de Bernard Imbert et la direction certes attentive aux chanteurs mais mollassonne et tristounette de Dominique Trottein, auquel l’Orchestre et le Chœur de Marseille répondent avec plus de bonne volonté que de virtuosité. Sous cette baguette trop peu inspirée, le spectacle peine à « décoller » mais le public retrouve sa verve lors du ballet final (chorégraphie de Julien Lestel), classique mais irrésistible festival de belles gambettes et grands écarts…
O.R.
La Vie parisienne : L’Avant-Scène Opéra n° 206
Photos : Christian Dresse.