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Kasimir Spicer (Septime), Katherine Watson (Theodora) et Philippe Jaroussky (Didyme).

Il a donc fallu attendre 2015 et le Théâtre des Champs-Elysées pour que Theodora connaisse sa première production scénique française. Double défi. D’une part, cet oratorio créé en 1750 – c’est l’un des ouvrages testamentaires de Haendel – narre le martyre de la chrétienne Theodora et du Romain converti Didymus selon une succession de stases spirituelles bien plus méditatives que dramatiques – à l’exception du gouverneur d’Antioche Valens, électrisé par sa propre cruauté. D’autre part, la production mise en scène par Peter Sellars au Festival de Glyndebourne 1996 (et dirigée déjà par William Christie) a tant marqué les esprits qu’elle est ombre autant qu’émulation pour ses successeurs, tout comme ses mémorables interprètes Dawn Upshaw et Lorraine Hunt. Alors ?

Le pari scénique est relevé par Stephen Langridge avec autant d’élégance que de neutralité. La scénographie d’Alison Chitty est certes judicieuse et évocatrice : de hauts murs de pierre intemporels coulissent pour suggérer fluidement différents espaces de récit où les costumes jet-set des Romains s’opposent au coton frais des chrétiens. Aux lumières, Fabrice Kebour joue sur les deux tableaux : celui de la définition spatiale comme celui d’une identité irradiante qui culmine dans les teintes de soleil chaud évoquant le souvenir d’Antioche. C’est beau et juste, lisible et expressif, mais c’est aussi sans surprise, sans ce pincement qui vous saisit et qui fait les grandes mises en scène, celles qui font résonner en vous l’urgence d’une œuvre – or c’est bien ce que Sellars avait réussi, en focalisant son point de vue sur la question du martyre/peine de mort. Ici l’actualisation et la fureur intolérante s’invitent bras dessus, bras dessous, mais restent sur le pas de la porte faute de décision : d’un côté, on porte imper ou stiletto, mais un dictateur d’opérette date le tout ; de l’autre, banquet orgiaque et brutalités diverses sont convoqués en scène, mais frappés de fausses pudeurs qui en obèrent l’effet.

La vraie réussite de Stephen Langridge tient plutôt dans sa manière d’assumer le temps distendu de la prière, de la réflexion et de l’affirmation de foi qui fait le sel des airs de Theodora : si quelque agitation semble parfois meubler la longueur des da capo, le plus souvent c’est la vie intérieure de la pensée qui point en une gestuelle fraîche et spontanée. Les chœurs des Arts Florissants sont visiblement inspirés ; ils passent avec aisance et expressivité de la fureur romaine bousculée à l’amour fraternel harmonieux, tant dans leur jeu que dans leur vocalité généreuse. Quant à l’orchestre, il tisse sous la direction de William Christie une Theodora ample et de belle eau, un rien tenue toutefois. Katherine Watson incarne le rôle-titre avec fraîcheur et lumière autant que conviction, qu’on aimerait enrichies d’un peu plus de chair vibrante. En Didyme, Philippe Jaroussky séduit quand son chant aérien peut servir la voix de l’âme (superbes sons filés) mais peine à emplir de son timbre trop mince les élans fervents de son personnage. Stéphanie d’Oustrac est une Irène cuivrée, complexe, inquiète aussi : véritable pendant au Septime de Kresimir Spicer dont les talents conjugués (une large palette de dynamiques à la maîtrise rare, une vocalisation dentelée) dessinent un Septime ambivalent – bourru et subtil –, toujours captivant. Seul Callum Thorpe offre en Valens un chant plus monocorde et sans finesse, collant toutefois ainsi au portrait du gouverneur sadique.

Le public fait un très bel accueil à la production et à ses interprètes. Pourtant cette Theodora disparaît trop vite de la mémoire, comme ses deux martyrs mis en joue… puis escamotés par un déplacement de décor. Il faudrait choisir.

C.C.


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Au centre : Kasimir Spicer (Septime) et Stéphanie d'Oustrac (Irène). Photos Vincent Pontet.