Omo Bello (Elsbeth), Marianne Crebassa (Fantasio) et Friedemann Layer (direction musicale).
Récemment publié dans l'édition critique de Jean-Christophe Keck et enregistré dans la foulée par Mark Elder (Opera Rara), l'opéra-comique Fantasio contribue à nuancer l'image friponne que l'on peut avoir d'Offenbach. Et que préféraient avoir de lui ses contemporains : l'ouvrage ne connut aucun succès lors de sa création à l'Opéra-comique en 1872. Au lendemain de la défaite de la France face à la Prusse, les Parisiens voyaient d'un mauvais œil un Allemand chanter le romantisme de sa patrie et entonner des couplets pacifistes! Adapté de la pièce d'Alfred de Musset par son frère Paul, le livret conte les aventures de Fantasio, bourgeois de Munich impécunieux et insolent, qui prend la place du bouffon du roi de Bavière afin de s'introduire auprès de la princesse et, dans la foulée, d'empêcher une guerre avec Mantoue.
Précédée d'une vaste ouverture qui en expose les thèmes (dont certains anticipent sur l'acte d'Antonia des Contes d'Hoffmann, qui se déroulera aussi à Munich), la partition baigne dans une scintillante atmosphère nocturne, particulièrement au premier acte (divine « Ballade à la lune » autrefois gravée par Anne-Sofie Von Otter, duo « du jardin » et finale avec chœur a cappella) et au début du second (« petite musique de nuit » introductive, suivie d'un chant pour voix de femmes digne de Mendelssohn), tandis que le couple formé par le Prince de Mantoue et son aide de camp Marinoni apporte une touche de bouffonnerie bienvenue et que le second finale se pare des attraits de la valse.
Afin de contourner le péril des dialogues parlés, toujours fastidieux en concert, le Festival de Montpellier a chargé une récitante (la mutine Julie Depardieu) de relier les différents numéros : le procédé s'avère parfois redondant avec le texte mais ménage d'agréables respirations. Il rythme aussi une soirée entamée de façon bien poussive (dès une Ouverture frigorifiée) par le chef Friedemann Layer, dont les affinités avec le répertoire léger ne sautent pas à l’oreille : si les pages rêveuses ou dramatiques apparaissent bien senties, les ensembles pèsent des tonnes, le duo final s'éternise et jamais le champagne ne pétille. Faisons aussi la part du dispositif : l'ouvrage n'a pas été conçu pour la vaste salle du Corum ni pour un orchestre (sonore !) hissé au même niveau que les chanteurs.
Placés à l'avant-scène, ceux-ci s'en tirent cependant au mieux. Plus que jamais, la Montpelliéraine Marianne Crebassa déploie, dans un rôle écrit pour Célestine Galli Marié – future créatrice de Carmen –, un phrasé large et somptueux, un chant d'une constante sensualité, seulement entaché, dans la Ballade initiale, d'une diction couverte. Pas en reste, la ravissante Omo Bello décoche avec un étourdissant brio les vocalises et trilles de la princesse Elsbeth : les duos de ces deux dames procurent bien des frissons. Jean-Sébastien Bou, malgré quelques raideurs vocales, réussit à faire passer le ridicule Prince de Mantoue pour un type viril et séduisant, tandis que Loïc Félix prête à Marinoni un chant soigné mais manquant de drôlerie. Sparck percutant (mais à l'accent prononcé) de Michal Partyka, Flamel plein de charme de Marie Lenormand, comparses bien caractérisés : la distribution se tient, y croit (tout autant que l'enthousiaste Chœur de Montpellier) et emporte le morceau. L'ovation finale semble également saluer son travail et celui, encore trop méconnu, de l'ami Offenbach.
P.R.
Vue d'ensemble.