Paris, Plon, 2013, 333 p., 21 €

Inspiré évidemment de la romance tout empreinte de nostalgie que chante Nadir au premier acte des Pêcheurs de perles, ce titre annonce bien le ton général du dernier livre d'André Tubeuf. Car il s'agit ici d'un ouvrage évoquant le plus souvent avec tendresse et parfois avec un pincement au cœur les nombreuses relations, fugitives ou plus significatives, que l'auteur a entretenues au fil des ans avec des chanteurs, musiciens et comédiens qui ont su l'émouvoir. Plus de la moitié des quelque 71 courts chapitres concernent les chanteurs, de Vanni Marcoux à Régine Crespin, d'Arthur Endrèze à Cecilia Bartoli. Collectionneur infatigable de documents iconographiques, d'autographes et de vieilles cires - il rappelle d'ailleurs à maintes reprises son important travail à l'origine de la réédition de nombreux trésors que lui seul possédait -, Tubeuf a également cherché à entrer en contact avec ceux et celles qui l'ont fait vibrer afin de recueillir leurs confidences et percer un peu le secret de leur art. On reste confondu et un peu abasourdi devant une telle activité qui, outre ses fonctions de professeur de philosophie à Strasbourg et sa vie de père de famille, l'a fait multiplier les voyages en France, Allemagne et Autriche, adresser des centaines de lettres aux quatre coins de l'Europe et de l'Amérique, servir de cicérone et accueillir chez lui quantité de chefs, chanteurs ou musiciens en tournée. Et ce qui ressort en filigrane à travers toutes ces esquisses que l'auteur propose des gloires passées ou actuelles, c'est le portrait d'un homme éprouvant le besoin viscéral de faire partager sa passion, certes, mais de marquer un peu lui aussi, à sa façon, le monde musical de son temps.

Dans son style éminemment personnel qui ne redoute pas les superlatifs et certains néologismes hardis, Tubeuf jette ainsi un regard rétrospectif sur plus de 60 ans de musique, de théâtre, de danse et même de cinéma. Selon ses intérêts, le lecteur goûtera davantage les chapitres consacrés à Serge Lifar, Louis Jouvet, ou ceux portant sur Maria Callas ou Maurizio Pollini. Parmi les portraits les plus réussis, celui de Germaine Lubin, artiste sublime au destin brisé par la Deuxième Guerre mondiale, est tout à fait poignant, de même que les pages sur la grande Astrid Varnay et son mal de vivre. À côté de ces sommets, des chapitres portant sur François Mitterrand, Yvette Chauviré ou Yves Nat s'avèrent nettement moins essentiels. Au final, et même si le livre verse un peu trop par moments dans les mondanités, Je crois entendre encore... présente une série de vignettes qui réussissent parfois à nous étreindre d'émotion et qui traduisent un amour inconditionnel pour les grands serviteurs de l'art.

L.B.