Roberto Frontali (Macbeth) et Susanna Branchini (Lady Macbeth).
Sorcellerie et apparitions, meurtre sanglant et couronne maudite : Macbeth – celui de Shakespeare, celui de Verdi ensuite – appelle des atmosphères fantomatiques, des coloris sépulcraux, des violences démoniaques. La production du Théâtre des Champs-Elysées, avec des qualités et des défauts mêlés voire confondus, reste en deçà du thriller lyrique espéré mais offre néanmoins quelques vraies aspérités.
La déception la plus vive provient de la mise en scène de Mario Martone, qui superpose sans trancher l’abstraction (scénographique) et l’historicisme (les costumes, signés Ursula Patzak), la gestuelle stylisée (le meurtre de Banco) ou conventionnelle (le défilé de Duncan), l’anecdotique (les deux chevaux, dont le seul effet est hélas de déconcentrer le public qui se prend à guetter un hennissement inopiné…) et le conceptuel (le chœur « Ondine e Silfidi » chanté au sol), le littéral (l’avancée de la forêt de Birnam) et le second degré (les vidéos où Lady Macbeth se mêle aux apparitions)… Trop d’options, dont les idées et les effets s’annulent – sans compter des lumières peu expressives (Pasquale Mari), une direction d’acteur peu affûtée à l’exception de quelques moments soudain quasiment chorégraphiés, et une gestion des scènes de chœur profondément statique à part deux scènes de sorcières soudain construites : on ne comprend ni le propos général, ni l’irrégularité de sa réalisation.
Pourtant, on ne peut nier que les forces musicales en présence semblent au diapason du projet, à commencer par Daniele Gatti. A la tête de l’Orchestre national de France et d’un Chœur de Radio France qu’il couve du geste, il cisèle des nuances de spectre, des beautés troublantes, des étagements chorals d’une saisissante beauté : les Sorcières, dosant judicieusement leurs effets de timbre (mais tout de même, garde au « DisssssScozia il Re » !), les Ecossais du IV délivrant un « Patria oppressa » à la désolation absolue, sont remarquables. Mais tout cela un rien trop sage, manquant de cette fièvre qui provoquerait justement le frisson.
La fièvre, en revanche, habite incontestablement la Lady Macbeth de Susanna Branchini. Sa voix, ici escarpée et là ardente, ici rusée et là abîmée, est un monde en soi, déplaisant ou captivant, perdu ou glorieux. On aura beau jeu de signaler les sons disparates, le vibrato débordant ou les précipices frôlés du bout du timbre : la technicienne récupère tout, tient les rênes de bout en bout et, de confiance, valse entre le spinto dévorant et la voix sur le fil (y compris le contre-ré bémol !), les plongées dans le grave et les picchettati dentelés. Un théâtre vocal est bien à l’œuvre, y compris dans ce chant entre les dents qui semble une lave prête à jaillir. On aurait aimé que l’actrice soit mieux dirigée, pour que sa Lady soit moins agitée ; mais d’acte en acte elle se recentre, jusqu’à un somnambulisme joliment assumé.
Son Macbeth, inégal lui aussi, n’a pas les mêmes ressources pour muer ses défaillances en gestes théâtraux : la voix mordante et claire de Roberto Frontali est souvent bravache, mais certaines attaques aiguës, désespérément trop basses, ternissent sa prestation. Lui aussi, néanmoins, travaille dans le sens d’un jeu vocal versatile, du son blanchi au cri étouffé (ou pas…), et son personnage, sensuellement inféodé à sa Lady, est bien dessiné et apparié à sa partenaire.
Andrea Mastroni est un Banco vocalement juste mais encore juvénile – et théâtralement trop superficiel. Dans l’air « Ah ! la paterna mano », Jean-François Borras (Macduff) se taille un juste triomphe : italianità, musicalité, émotion, tout y est.
Si la production ne convainc pas, l’esprit de Macbeth s’immisce donc pourtant entre ses lignes, comme les fumerolles montant du brouet des Sorcières : on ne le boira peut-être pas volontiers, mais ses ingrédients n’en sont pas à négliger…
C.C.
A lire : notre édition de Macbeth, L’Avant-Scène Opéra n° 249 (mars 2009).
La scène des apparitions, avec Roberto Frontali (Macbeth, à droite). Photos Vincent Pontet.