Clare Halse (Kathy Selden), Dan Burton (Don Lockwood) et Daniel Crossley(Cosmo Brown).
Un triomphe : c’est une pluie… d’applaudissements, de cris et de bravi qui a accueilli jeudi 12 mars la première de la nouvelle production parisienne du musical Singin’ in the Rain. Au Théâtre du Châtelet, un public à la jeunesse enthousiaste a été unanime à saluer une réalisation de haut vol, pour laquelle Jean-Luc Choplin a réuni l’équipe scénographique de My Fair Lady (2010).
A la mise en scène, Robert Carsen jongle de façon virtuose avec les références et les clins d’œil. On se doutait que le sujet et la forme de Singin’ in the Rain, un backstage musical situé dans le monde de Hollywood et issu d’un film, l’inspireraient. On n’est pas déçu. De l’ouverture (un générique de cinéma) à la conclusion (les effets spéciaux dévoilés) en passant par tous les niveaux de mise en abyme (devant et derrière l’écran, dans les loges d’artistes, sur un plateau de tournage, dans la salle elle-même…), l’esprit et le regard bondissent. Quant à la direction d’acteurs, elle s’appuie sur des comédiens rompus au genre et à son rythme, et crée une efficace sensation de comédie stylisée. Ce théâtre-là reste efficace même pour qui connaît son « Singin’ – le film » jusqu’au bout des répliques – et on apprécie d’autant plus l’interpolation burlesque de Moses Supposes et des premiers essais parlants de Lina Lamont, comme la chanson What’s Wrong qui ajoute une touche sympathique à ce personnage ingrat.
Un parti visuel très fort crée une véritable magie esthétique : évoquer l’époque du noir et blanc par un chromatisme de blancs, gris et noirs – ce qui est aussi une façon habile de se démarquer du film de Stanley Donen et Gene Kelly (1952) et de son éclatant Technicolor. Les impeccables décors de Tim Hatley et surtout les somptueux costumes d’Anthony Powell jouent la carte d’une élégance au luxe chatoyant, déployant une infinité de nuances – et elles sont bien plus de 50 ! Les lumières ajoutent à cette palette de teintes : diversifiée du plus chaud au plus froid, des bleutés au sépia, de l’ivoire à l’ébène, du perle au nacré, elle installe le chic sophistiqué des années vingt et, tout simplement fascine le regard. La magie opère, et les deux grandes scènes indépendantes (l’une en hommage à Broadway, l’autre en hommage au film de 1952) s’en démarquent avec une puissance d’autant plus frappante : Broadway Melody avec tous ses ors, du patiné au lamé, puis l’épilogue, explosant soudain de couleurs vives.
Mais Singin’ in the Rain, c’est aussi le souvenir d’un trio de rêve (Gene Kelly, Donald O’Connor et Debbie Reynolds) dans une série de numéros chantés entrés dans les mémoires (signés Arthur Freed et Nacio Herb Brown), et un étincelant scénario du duo Betty Comden / Adolph Green. Les artistes de la production relèvent brillamment le défi. Dan Burton est un Don Lockwood charmeur, physique à la Anthony Perkins et danse svelte, déliée, qu’une voix profonde sachant crooner complète parfaitement – You Were Meant For Me a ici une séduction chaleureuse. Daniel Crossley a tous les atouts d’un Cosmo Brown : tonicité plastique, énergie semblant inépuisable, humour et autodérision – Make’em Laugh est assumé avec panache. Kathie Selden trouve en Clare Halse une digne héritière de Debbie Reynolds : même profil mutin, un abattage peut-être plus autoritaire, et dans la voix des vulnérabilités infiniment touchantes (You Are My Lucky Star ou Would You ?). Il faut citer aussi Emma Kate Nelson qui compose une Lina parfaitement horripilante, et Jennie Dale (incarnant la journaliste Dora Bailey puis le professeur de diction Miss Dinsmore) qui apporte son talent de tap dancer à Moses Supposes pour en faire un trio. Gareth Valentine dirige un Orchestre de chambre de Paris qui fait sonner dignement Singin’ in the Rain : un éclaboussement de mélodies et de danses – pour lesquelles les chorégraphies de Stephen Mear font merveille, accordant une large part aux claquettes dans toute leur énergie et s'inscrivant dans l'héritage de celles de Gene Kelly.
A la sortie du théâtre, on en voudrait presque à la météo d’être, ces jours-ci, trop clémente à Paris, et de ne pas nous offrir de belles flaques d’eau pour poursuivre la fête.
C.C.
A lire, nos éditions : La Comédie musicale, mode d’emploi par Alain Perroux, et Opéra et mise en scène : Robert Carsen, L’Avant-Scène Opéra n° 269
Broadway Melody.
Photos : Patrick Berger.