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Pour cette production créée en 2010 à l'Opéra de Lorraine, Philippe Himmelmann a entièrement construit sa mise en scène sur l'idée que toute l'action de La Ville morte n'est qu'un long rêve virant au cauchemar que fait Paul, le veuf réfugié dans le culte de son épouse défunte, suite à la rencontre d'une inconnue lui ressemblant de façon troublante. Le dispositif scénique à deux niveaux et son jeu de boîtes isolent systématiquement les personnages les uns des autres dans un décor abstrait de salon démultiplié – avec lampadaire et fauteuil club – où jamais les héros n'ont de contact physique entre eux. La scène de la séduction de Marietta au premier acte, comme celle du meurtre, sera mimée par les protagonistes. Dès le deuxième acte, les personnages commencent à avoir des comportements décalés et la clef de la chambre de la danseuse que Paul arrache des mains de Frank est d'une taille invraisemblable, indiquant clairement que nous sommes dans un univers onirique. La fête nocturne précédée de l'apparition de Brigitta, drapée dans un voile de mariée en route pour prononcer ses vœux, semble un rendez-vous de morts-vivants ou de pantins grotesques, et l'acte s'achève sur la pseudo-répétition du ballet de Robert le Diable dans une atmosphère d'orgie macabre.

Le résultat est d'une totale efficacité et baigne dans une atmosphère de fantasme miroitante et absolument captivante. Les lumières de Gérard Cleven et le travail sur la vidéo de Martin Eidenberg, pour les apparitions de Marie ou de son portrait, sont très réussis et tiennent une grande part dans la réussite du spectacle, faisant oublier les quelques faiblesses du livret.

Mais autant que sur la mise en scène, la représentation repose sur le plateau et singulièrement sur l'engagement de l'extraordinaire Marietta de Helena Juntunen. Voix splendide de grand lyrique, d'une longueur et d'une projection époustouflantes, elle donne à son personnage un relief impressionnant, jouant sans retenue la vulgarité et la provocation physique de son rôle de danseuse avec une énergie inépuisable. La performance paraît d'autant plus impressionnante que l'opéra est donné sans entracte et qu'elle est quasiment omniprésente pendant les deux heures de sa durée. Il s'en faut de beaucoup que le Paul de Daniel Kirch soit au même niveau, avec de grosses difficultés dans le passage et un registre aigu affecté d'un désagréable vibrato. En termes de présence vocale, Alan Boxer promet un peu plus qu'il ne tient sur la longueur et n'est pas loin d'être éclipsé par l'excellent Fritz de John Chest et son merveilleux air « Meine Sehnen, meine Wahnen » qu'il termine à la renverse sur un praticable. Le quatuor des fêtards est également d'un excellent niveau, avec une mention particulière pour les deux ténors Alexander Sprague (Victorin et Gaston) et le Comte de Rémy Mathieu, tandis que Maria Riccarda Wesseling offre une belle couleur chaleureuse de mezzo au rôle épisodique de Brigitta. Les chœurs d'Angers Nantes Opéra et la Maîtrise de la Perverie sont au sommet dans la scène de la Procession – ici entièrement invisible. A la tête de l'orchestre national des Pays de Loire, au grand complet dans une fosse qui a bien du mal à le contenir, Thomas Rosner fait briller de tous ses feux la séduisante orchestration de Korngold, déchaîne les masses sonores sans jamais couvrir les solistes ou donner le sentiment d'excès sonore. 

A.C.

Enregistré par France Musique, au Théâtre Graslin de Nantes,  La Ville morte sera diffusée le samedi  25 avril 2015 à 19h dans l’émission de Judith Chaine Samedi soir à l’opéra.      

Représentations à Nantes du 8 au 17 mars, puis à Nancy en avril.

Voir notre édition de La Ville morte : L’Avant-Scène Opéra n° 202


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Photos : Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra.