On connaît l’histoire, popularisée par le roman de Vigny : favori de Louis XIII, le jeune marquis de Cinq-Mars conspire contre Richelieu et finit sur l’échafaud. Le livret de Paul Poirson et Louis Gallet convenait-il vraiment à Gounod, plus porté sur l’amour que sur la politique ? Un sujet de grand opéra en tout cas, même si la partition, commande de Léon Carvalho, fut créée à l’Opéra-Comique en 1877 – avec dialogues et mélodrames.
Mais si l’on y entend le meilleur Gounod, elle souffre d’une certaine inégalité d’inspiration, notamment au premier acte, et d’un certain disparate dans le mélange des registres : les raffinements délicieux du divertissement néoclassique chez Marion Delorme, qui inclut un ballet de la Carte du Tendre, s’insèrent mal dans cette intrigue ourdie par le tortueux père Joseph. Est-ce pour cela que l’œuvre ne tint pas longtemps l’affiche et que plus d’un mélomane a attendu le récital français de Magdalena Kozena pour découvrir, à défaut d’autres numéros, le « Nuit délicieuse » du premier acte ? Dans les deux derniers, en revanche, Gounod s’élève davantage à la hauteur de son sujet, alors que l’on sent toujours que la fresque historique n’est pas son élément premier – elle semble même parfois brider son inspiration dans la peinture des sentiments : le duo final des deux amants, qui se croient sauvés alors qu’ils sont perdus, n’atteint pas les sommets de ceux de Roméo et Juliette, son opéra précédent. Bref, on ne tient pas ici un second Don Carlos, dont Cinq-Mars se rapproche parfois : l’amitié du héros et du chancelier de Thou fait penser à celle de Rodrigue et de Posa, la princesse Marie de Gonzague se sacrifie, comme Elisabeth de Valois, à la raison d’Etat. Il n’empêche : Gounod reste Gounod, subtil, coloré, jamais en reste de combinaison originale de timbres, inimitable.
Comme on l’aime jusque dans ses faiblesses, on remercie le Palazetto Bru-Zane d’avoir, une fois de plus, ressuscité une partie du patrimoine lyrique français, l’Opéra de Paris ne brillant pas par ses audaces en la matière – il affiche tout de même, cette saison, Le Cid et Le Roi Arthus. Le Centre de musique romantique française a, de surcroît, opté pour l’intégralité de la version révisée et augmentée de la reprise, avec des récitatifs plus adaptés au genre et au sujet – de Thou y gagne un Cantabile. La distribution, enfin, a été bien choisie et rend justice à l’œuvre, que Vienne et Munich ont entendue avant Versailles.
Précis et scrupuleux, Ulf Schirmer croit visiblement aux qualités de ce Cinq-Mars pour lequel il déploie une énergie enthousiaste, imprimant un irrésistible élan aux deux derniers actes, à la tête de son excellent Orchestre de la Radio de Munich. Il lui manque seulement, comme à ses musiciens, une intimité avec les couleurs spécifiques de la musique française – qu’un Leonard Slatkin, dans son enregistrement de Roméo et Juliette, suggérait davantage. Cinq ans après son Vincent de Mireille à Garnier, Charles Castronovo confirme, en Marquis conspirateur et amoureux, son appropriation de notre répertoire, notamment par la clarté de l’articulation et l’élégance de la ligne. Mais Tassis Christoyannis, ami noble et généreux, va plus loin encore dans la pertinence stylistique : nul ne saurait dire que l’on n’entend pas ici un baryton français, tant la déclamation est naturelle. Voilà deux partenaires de choix pour Véronique Gens dont on ne perd pas une syllabe, soprano lyrique parvenu à son apogée et qui perpétue la plus glorieuse tradition d’une école, Marie frémissante et passionnée. Mais elle sera la proie du Père Joseph vipérin d’Andrew Foster-Williams, remarquable de noirceur insidieuse, l’antithèse du Fontrailles haut en couleur d’André Heyboer, superbe de timbre et de tenue. Les autres forment un ensemble homogène, dominés par la Ninon de Marie Lenormand, qu’on aime à retrouver depuis sa Mignon à l’Opéra-Comique – plus que par la Marion plus appliquée de Norma Nahoun –, et par le Roi de Jacques-Greg Belobo, si présent en l’espace de quelques mesures.
D.V.M.