Endrik Wottrich (Samson) et Marie-Nicole Lemieux (Dalila).
C'est avec une grande fébrilité que le public de l'Opéra de Montréal attendait cette nouvelle production de Samson et Dalila, qui permet à Marie-Nicole Lemieux d'ajouter à son répertoire un rôle dont elle offre un portrait envoûtant et qu'elle marque de sa forte personnalité. On ne sait quoi admirer le plus chez sa Dalila, du timbre chaud d'une voix aux très riches harmoniques, du legato exceptionnel ou de la sensualité quasi troublante d'un chant extraordinairement raffiné. À la fin du premier acte, elle parvient à suspendre la salle tout entière à ses lèvres avec un « Printemps qui commence » d'anthologie, presque susurré, d'une extrême séduction. Si « Amour ! viens aider ma faiblesse ! » convainc un peu moins, le duo avec le Grand-Prêtre et surtout la grande scène avec Samson sont absolument magistraux. Ensorcelant, « Mon cœur s'ouvre à ta voix » ne laisse d'autre choix au chef des Hébreux que de capituler devant tant de beauté et d'ardeur...
Face à une telle interprétation, le Samson de Endrik Wottrich ne démérite pas, au contraire : voix puissante, aigus solides, français soigné, chant capable de superbes nuances, qui font merveille en particulier au premier tableau du dernier acte, lorsque le héros bat sa coulpe et implore le pardon divin. Gregory Dahl est pour sa part un Grand-Prêtre parfaitement en situation, racé, au chant d'une grande élégance. La même qualité s'applique à la basse Alain Coulombe, touchant vieillard hébreu, tandis que Philip Kalmanovitch s'avère plutôt décevant en Abimélech.
Protagoniste essentiel de l'opéra, le chœur atteint ici à un très haut niveau, et ce, dès l'imploration initiale au crescendo saisissant, jusqu'aux débordements du tableau final dans le temple de Dagon. Également admirable, l'Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Jean-Marie Zeitouni, ajoute à notre bonheur en nous rappelant par une magnifique lecture de la partition de Saint-Saëns ses profondes affinités avec la musique française.
Conçu par Anick La Bissonnière et Éric Olivier Lacroix, le décor est composé de panneaux amovibles qui forment le plus souvent une espèce de conque sur laquelle des projections évoquent les principaux lieux où se déroule l'action. On retiendra surtout le ravissant décor printanier du premier acte, la somptueuse demeure de Dalila et le riche temple du dernier tableau. Alain Gauthier tire, en général, le meilleur parti d'un plateau entièrement vide, où l'on cherchera en vain un quelconque ameublement chez la belle Philistine, la meule que doit tourner Samson dans la prison de Gaza ou l'autel consacré à Dagon dans la scène finale. Mais peu importent en vérité ces détails. Au deuxième acte, il suffit par exemple au metteur en scène de faire asseoir les deux personnages principaux sur un plancher légèrement surélevé et de faire en sorte que Samson repose sa tête sur les genoux de son amante pour suggérer l'érotisme le plus enivrant. Plus étonnante, l'absence de danseurs sur scène nous réserve des surprises intéressantes. Au premier acte, la danse des Prêtresses de Dagon est remplacée par une gracieuse évolution du chœur qui vient encercler Dalila et effectuer avec des branchages des gestes rappelant l'éclosion d'une corolle. Dans la bacchanale, un couple de danseurs virtuels donne lieu à une vidéo originale, mais qui ne saurait se substituer avantageusement à la présence de vrais danseurs sur le plateau. Il faut aussi avouer que l'effondrement du temple laisse singulièrement à désirer : sans que Samson cherche même à ébranler ses colonnes, il se volatilise en un instant pour céder la place à des projections de fumée noire qui n'ont vraiment rien de spectaculaire. En dépit de ces quelques aspects, cette production aux mérites nombreux est globalement réussie et constitue un écrin digne à la prise de rôle de Marie-Nicole Lemieux.
Louis Bilodeau
Endrik Wottrich (Samson). De dos : Marie-Nicole Lemieux (Dalila)et Gregory Dahl (le Grand-Prêtre). Photos : Yves Renaud