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Assise à l'extrême gauche : Julie Boulianne (Annio). Au centre : Karina Gauvin (Vitellia), Kurt Streit (Titus), Kate Lindsey (Sesto).

 

En ce mois de décembre, le Théâtre des Champs-Elysées est à son meilleur avec une Clémence de Titus aux qualités remarquables. Mise en scène et interprétation musicale, voix et orchestre : tout respire un travail d’ensemble ciselé, vivant et stylé.

Quelques détails théâtraux font ici ou là retomber la tension ou amoindrissent le propos, mais rien qui empêche de goûter une soirée de belle eau. On s’étonne surtout que le metteur en scène et Comédien-Français Denis Podalydès n’ait pu offrir, dans l’exergue qu’il place en début de soirée – les magnifiques adieux de Bérénice à Titus selon Racine –, une meilleure interprète pour faire chanter et vibrer l’alexandrin : la neutralité de ton et l’élocution peu classique de Leslie Menu gomment l’émotion et la grandeur du moment. Il y aura aussi les rires sardoniques demandés à Vitellia, et des choix scénographiques très « second degré » mais peu parlants : un décor de grand hôtel (certes pratique pour l’alternance privé/public) et des costumes années quarante – une période où l’histoire manqua cruellement de souverains éclairés… et où il est donc aussi incongru que goûteux de situer Titus.

Heureusement la direction d’acteurs de Denis Podalydès nous éloigne radicalement du Grand Hôtel de Vicki Baum : les personnages sont finement habités – Titus, dans le sens d’une fragilité émotionnelle très humaine mais qui frôle parfois l’agitation apeurée –, leurs relations constamment mises en jeu, et les rapports entre les protagonistes et le chœur des Romains judicieusement nourris par une gestion efficace des mouvements collectifs et la présence, discrète mais singularisée, d’acteurs figurants.

Ce beau travail dramatique se conjugue à une élégance rare de la réalisation musicale. En fosse, Jérémie Rhorer délivre un Mozart aussi délié qu’impérieux : netteté imparable sans jamais sécheresse ni froideur, chant permanent des soli instrumentaux, galbe du souffle et architecture d’ensemble, on retrouve ce que l’on admire à chaque fois dans la direction musicale de ce chef comme dans son rapport à un Cercle de l’Harmonie dont le nom s’avère idéal. De bout en bout, les récitatifs dialogués sont un modèle de conversation en musique semblant improvisée dans le feu de l’instant : une leçon de théâtre en musique.

Sur le plateau, de minimes réserves s’effacent devant une belle homogénéité de ton : chacun sert Mozart avec panache, sait doser ses moyens et, quand il le faut, suspendre la salle à un chant à fleur de lèvres. Kurt Streit est de ces ténors qui possèdent la tessiture de Titus sans jamais sembler forcer ou hausser leur voix – sauf dans son dernier air où la vocalisation le met un peu en difficulté, outre une fatigue du haut-médium qui commence à se faire sentir. Son Titus est clair et aisé, doux et nuancé, infiniment sensible – mais sait aussi rassembler ses moyens dynamiques lorsque point la colère. Le tempérament de Karina Gauvin en Vitellia ne peut manquer d’impressionner : elle s’empare de son personnage en croquant à belles dents dans un premier recitativo toutes griffes dehors, et si quelques difficultés se révèlent (une longueur de souffle ici, un saut intervallique là), elles sont toujours négociées avec maestria et une grande générosité de chant – notamment de beaux graves très équilibrés. Le mezzo de Kate Lindsey dessine un Sesto déchiré, vocalement superbe de maîtrise et de nuance : émouvante autant qu’admirable, l’Américaine est la triomphatrice de la soirée. Mais c’est sans compter Julie Boulianne qui, d’un timbre non moins rond et expressif, délivre un Annio digne des mêmes éloges. Servilia un peu neutre de Julie Fuchs, Publio de belle prestance de Robert Gleadow.

Il est des soirs où la grandeur d’âme de Titus répand ses bienfaits autour d’elle.

C.C.

Voir aussi notre édition de La Clémence de Titus : L’Avant-Scène Opéra n° 226


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Kate Lindsay (Sesto). Photos : Vincent Pontet.