Arles, Actes Sud, 2013, 323 p., 22,80 euros

2013, année du bicentenaire de la naissance de Giuseppe Verdi et Richard Wagner, a vu fleurir les publications consacrées aux deux compositeurs. Mais en France, aucune n'interroge spécifiquement le lien qui, depuis l'évolution parallèle de leurs carrières contemporaines jusqu'à aujourd'hui, tantôt rapproche, oppose ou fait dialoguer ces deux figures, plus politiquement et culturellement encore qu'artistiquement - le catalogue annoncé de l'exposition à venir en décembre à la BnF (Verdi-Wagner et l'Opéra de Paris) se distinguant aussi de cet angle de réflexion. En anglais, on renverra par exemple le lecteur à Verdi and/or Wagner de Peter Conrad (Londres 2011) ; en allemand, à Wagner und Verdi de Eberhard Straub (Stuttgart 2012).

L'ouvrage de Timothée Picard comble donc une béance, et s'impose par cette évidence de son point d'ancrage : Verdi et Wagner sont tous deux devenus les emblèmes de l'opéra italien et allemand de leur temps ; ainsi investis, leur œuvre, leur langage et leur positionnement dans l'histoire des styles - elle-même flirtant avec l'histoire des nations par le biais de l'histoire des goûts -, sont devenus parfois caractéristiques, voire revendications, identitaires. Le sujet est passionnant, et comblera autant les amateurs d'opéra que ceux de géopolitique ou d'histoire des idées, de même que les cinéphiles - tant le genre dominant du XXe siècle a su se faire le vecteur de la question. Car la plume de Timothée Picard est forte d'une érudition multiple, et passe en un tournemain de la philosophie esthétique au cinéma d'auteur comme de la littérature à l'Histoire, le tout selon de subtiles références, tantôt monumentales et tantôt rares.

La dialectique Verdi-Wagner ici développée à la lumière des identités nationales vous fera passer par Richard Strauss - et son œuvre naviguant entre germanité et latinité méditerranéenne -, comme par Arrigo Boito ou Ferruccio Busoni, Italiens tournés vers le Nord. Mais aussi par la France qui a su, à coup de « querelles » accumulées (celle des Bouffons, celle des piccinnistes et des gluckistes) et de compositeurs adoptés (Lully en premier lieu), trouver un positionnement non pas médian mais décalé - et ce, jusqu'à Debussy -, ou par les guerres répétées qui ont nourri la part identitaire des langages musicaux européens. Nonobstant l'association d'une forme touffue et d'un montage « cut » parfois déroutant, rendant la lecture concentrée sinon ardue, ce volume s'impose comme un incontournable et renoue avec une vision humaniste de la pensée musicologique. Car, comme le rappelle l'auteur, « le roman de l'opéra est aussi celui de l'Europe moderne ».

C.C.