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Lars Woldt (Osmin) et Anna Prohaska (Blonde).

 

Après 30 ans d’absence – la dernière production, par Giorgio Strehler, datait de 1984 –, le Singspiel mozartien revient enfin au Palais Garnier, en une splendeur visuelle avant tout. Coup de maître et hélas testament, les décors de Jean-Marc Stehlé, disparu en août 2013, sont un ravissement de l’œil et de l’esprit : un orientalisme aux teintes subtiles, aux harmonies renversantes de goût et d’élégance, que les costumes d’Arielle Chanty servent à leur tour. L’artifice du carton-pâte s’y transmue en poésie et favorise un voyage de l’imaginaire qui s’accorde à celui du cinéma muet (l’enlèvement de Constance par les hommes de Selim, projeté pendant l’ouverture) et burlesque (l’évasion, réglée en bagarre générale), véritable ligne de fuite de la mise en scène. Zabou Breitman rend d’ailleurs un discret hommage au décorateur, dont l’âme semble incarnée dans un coin du décor par un figurant : un vieil homme, aussi mince qu’une feuille de papier et presque fondu dans le pan de mur contre lequel il fume son narguilé, pose un œil attentif sur les personnages, intervient de loin en loin puis s’abstrait, immémorial.

Est-ce l’ombre de ces circonstances ? Le théâtre de Breitman pèche ici parfois par manque de rythme, alors qu’on lui sait par ailleurs ce talent – en témoigne son récent Système Ribadier à la Comédie-Française. Non tant dans les dialogues, que les chanteurs ici réunis habitent aisément, mais dans cette alternance si particulière entre parole et chant, que le choix d’une version quasiment sans coupure rend d’autant plus périlleuse. Philippe Jordan délivre un Mozart ample, plus sculpté que transparent, jouant sur les contrastes de dynamique mais évitant soigneusement de tomber dans le cliché – bien que sur scène, les musiciens « turcs » (triangle, tambour, cymbales) sont d’une rare finesse sonore. Sur le plateau, outre d’impeccables chœurs, le chant se fait soigné le plus souvent, néanmoins sans générosité superlative. Erin Morley déjoue la virtuosité aiguë de Constance, mais parfois avec raideur et surtout sans l’assise ni la rondeur que le rôle mériterait. Anna Prohaska est une délicieuse Blonde, assurément pétillante… et au medium absent. Son Pedrillo (Paul Schweinester) s’avère un remarquable musicien (la Sérénade déploie un jeu magistral sur les nuances), mais sa voix bien petite disparaît dans les ensembles. Bernard Richter désarçonne en Belmonte, offrant autant de moments de grâce que de faux pas : une mezza voce audacieuse met ici le soutien en péril, un trait apparaît là savonné quand ailleurs le dessin est impeccablement maîtrisé (notamment de beaux arpèges descendants). Le Pacha de Jürgen Maurer, à force de dignité intérieure, apparaît un rien en retrait. Le vrai triomphateur, par l’égalité de ses qualités théâtrales et vocales, s’avère Lars Woldt, un Osmin truculent et joueur. Vrai gardien d’un Sérail pas tout à fait enlevé.

C.C.

Voir aussi notre édition de L’Enlèvement au sérail : L’Avant-Scène Opéra n° 59


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De haut en bas de l'escalier : Bernard Richter (Belmonte), Paul Schweinester (Pedrillo) et Lars Woldt (Osmin). Photos : Agathe Poupeney / OnP.