Leslie-Ann Bradley (Missia Palmieri).
Cette nouvelle production de La Veuve joyeuse que propose l'Opéra de Québec nous prouve, si besoin était, combien ce type d'ouvrage aux mélodies inusables mais au charme désuet est délicat à monter. Le fragile équilibre entre le chant et la parole s'avère d'autant plus difficile à atteindre dans une salle aux vastes proportions comme celles du Grand Théâtre, où il faut parfois tendre l'oreille pour bien saisir les dialogues de Gaston de Cavaillet et Robert de Flers, qui auraient gagné, au demeurant, à être resserrés. Car ce qui manque le plus à cette représentation, c'est le rythme, qui jamais ne devrait faiblir et qui pourrait nous faire croire un tant soit peu à cette intrigue fantaisiste et nous permettre de goûter pleinement la musique de Lehár. Alors qu'il avait su conférer beaucoup de tonus à La Chauve-Souris (2011), François Racine réalise ici une mise en scène trop sage, à l'image de la valse timide et presque contrainte de Missia et Danilo, qui ne parviennent pas à tourbillonner en un délicieux vertige. À la décharge du metteur en scène, il faut reconnaître que les décors minimalistes de Michel Baker ne lui ont guère facilité la tâche. Les projections en fond de scène contribuent certes à suggérer le palais de l'ambassade de Marsovie ou le jardin de Missia Palmieri, mais on s'étonne de ce que cette dernière, quelle que puisse être par ailleurs l'importance de sa fortune, possède en plein cœur de Paris un domaine rivalisant en étendue avec les Buttes-Chaumont...
Au sein d'une distribution qui réunit essentiellement de jeunes chanteurs québécois, le baryton Armando Noguera se distingue par son abattage scénique et l'excellente projection de sa voix. Son Danilo est à la fois jouisseur, tendre et vulnérable. Leslie-Ann Bradley campe pour sa part une Missia un brin trop réservée et qui ne réussit pas à imposer parfaitement son personnage. Gênée par un médium très étouffé, elle possède un registre aigu plus solide, quoique tendant à se décolorer. Si Keven Geddes et Judith Bouchard semblent s'amuser en Camille de Coutançon et Nadia, il faut convenir que leurs voix sont bien petites pour la salle Louis-Fréchette. Le chœur, que l'on aurait aimé voir danser avec plus de naturel et participer davantage à l'action dramatique, se révèle sous son meilleur jour au deuxième acte. C'est finalement de la fosse qu'émane le plaisir le plus constant, puisque l'Orchestre symphonique de Québec et le chef Stéphane Laforest offrent une lecture soignée, souvent pétillante, de la partition. Voilà surtout ce que l'on retient de cette Veuve joyeuse en demi-teinte, qui ne nous offre pas l'exquise griserie à laquelle nous étions en droit d'aspirer.
L.B.
Voir aussi notre édition de La Veuve joyeuse : L’Avant-Scène Opéra n° 45
Leslie-Ann Bradley (Missia Palmieri) et Armando Noguera (Danilo). Photos : Louise Leblanc.