Dalibor Jenis (Figaro), René Barbera (Almaviva), Karine Deshayes (Rosina), Carlo Lepore (Bartolo).
C’est le prototype de la production que l’on aurait aimé adorer : colorée, joueuse, funky. Et pourtant, on ressort de ce « nouveau » Barbier de l’Opéra de Paris – en réalité créé au Grand Théâtre de Genève en 2010 – sans le grain d’excitation vibrionnante que la musique de Rossini mériterait.
Le premier acte est en fait le plus réussi – surtout parce qu’on y découvre les principaux atouts de la mise en scène de Damiano Michieletto. D’abord un décor virtuose, façon « Séville, mode d’emploi » : la scénographie de Paolo Fantin nous offre un immeuble en coupe sur tournette où l’action se démultiplie – intérieur/extérieur, protagonistes/voisins figurants, étages et escaliers… – et déraisonne joliment lorsque les personnages débordent le cadre supposé du « quatrième mur » invisible. Puis une actualisation sympathique : tags potaches et bar à tapas, clims épuisées par la moiteur ambiante, façades d’or décrépit, appartements décorés avec un kitsch chaleureux… cette Séville est à mi-chemin entre Cuba et la movida, et impose à coup sûr son atmosphère. Enfin un sens du gag certain : la direction d’acteurs de Michieletto, son sens du rythme et sa gestion des déplacements lorgnant du côté du burlesque, assurent des moments de franc sourire. Oui mais voilà : l’apogée de tous ces atouts culmine lors du finale primo où la tournette, prise de folie, donne au décor et à ses habitants un vertige digne de Rossini. Passé ce cap et à part la leçon de musique de l’acte II, vraie réussite comique et déjantée, la soirée répète ces trucs et astuces – trop éventés alors pour que l’effet s’en poursuive. Par ailleurs, si les protagonistes masculins sont bien dessinés, on reste sur sa faim du côté de Rosina : peut-on vraiment la réduire à une ado en crise ? La précédente production parisienne du Barbier, signée Coline Serreau, possédait cette dimension supplémentaire qui manque ici cruellement à la jeune Sévillane : l’aspiration à la liberté et à la féminité vécue comme pensée politique.
Karine Deshayes semble d’ailleurs quelque peu égarée dans cette Rosina plus capricieuse que revendicatrice. Le timbre rond et chaud, les phrasés châtiés, laissent passer quelques aigus un peu durs. René Barbera est un Almaviva aisé, souple et fruité, mais la démonstration supplante la tendresse dans son chant et son jeu, assez monocorde. Dalibor Jenis, dont le Figaro faisait déjà le sel de la production Serreau, affiche désormais une voix graillonneuse ; le panache de la composition est inentamé – le chanteur est aussi guitariste et délivre un savoureux accompagnement de sérénade – mais le beau chant n’est pas au rendez-vous, pas plus que pour le Basilio d’Orlin Anastassov, lui aussi encombré de timbre et manquant de structure dans l’air de la Calomnie, assené sans insinuation ni même véritable enflure. Mais le Bartolo de Carlo Lepore réunit, lui, toutes les qualités : voix fière, timbre net, chant d’école, et une vigueur du personnage bien moins chenu que d’ordinaire. Fiorillo bien tenu (Tiago Matos) et Berta généreuse (Cornelia Oncioiu), chœurs impeccables, et un orchestre qui délivre sous la baguette attentive de Carlo Montanaro un Rossini puissant plus que délié, trop sage souvent. De cet ensemble scénique et musical, le sentiment domine d’un Barbier correct – mais ce n’est pas assez pour un filou « di qualità »…
C.C.
Voir aussi notre édition du Barbier de Séville : L’Avant-Scène Opéra n° 37
Photos : Bernard Coutant / Opéra national de Paris.